Critique écrite pour Le Blog du Cinéma en 2020 pour la sortie du film.
La question méta-médiatique, au centre du récit de Yalda, la nuit du pardon, n’est jamais tout à fait imprévisible : elle est, au fond, la base rythmique du cinéma iranien depuis maintenant trente ans. Kiarostami, Makhmalbaf, puis Panahi, ont toujours placé, d’une manière ou d’une autre, cette potentialité formelle dans leur œuvre, faisant fi des modes et de la plastique. Farhadi, coqueluche des festivals européens depuis une dizaine d’années, ferait cependant office d’exception ; n’étant jamais véritablement concerné par cette place physique occupée par la caméra, définitoire du cinéma de ses précurseurs. Sa mise en scène, rugueuse, étouffée, en close-up (justement), trouve néanmoins un écho certain dans le film de Bakhshi, réalisateur de Yalda. Comme si, le temps d’une tentative très scolaire, on croisait les époques, pour faire somme d’une histoire.
Dit
comme ça, on a déjà des étoiles dans les yeux. La réalité, plus mesurée, est
celle d’un huis-clos conceptuel et contemporain qui s’inspire avec plus ou
moins de recul d’émissions télé sensationnels, et plus particulièrement de
l’une d’entre elles, bien réelle, où en Iran des jugements criminels sont
rendus en direct live. Un petit
thriller qui se la joue exercice de style, en conjuguant deux
esthétiques : celle, évidente et copiée sans vraiment de malice, de la
télévision (avec ses jeux de lumière, ses travellings répétitifs et ses gros
plans larmoyants), que Bakhshi moque mais ne tord jamais ; et celle, un
peu contre-productive, façon Farhadi du pauvre, qui imite dans les coulisses le
drame social et ses émotions brutes mais ne touche jamais à la mesure qui fait
l’apanage des plus grands. La rupture est là, des spots flashy aux néons jaunâtres, de déplacements millimétrés aux micro-vibrations
des sentiments humains, de l’apparence aux blessures du cœur : mais Yalda se tend un propre piège, plongeant
tête baissée dans une saga de poncifs scénaristiques qu’on voit se noyer dans
des mers de larmes et de cris de l’être.
La frustration qui émane de l’échec, non pas structurel mais thématique, de Yalda, tient finalement plus de l’incompréhension : Bakhshi finit par être l’auteur même de ce qu’il entend dénoncer, utilisant les mêmes armes et le même discours pour se faire le conteur omniscient d’un exact inverse. On aurait espéré une réflexion sur cette double casquette, sur la nature profondément médiatique du cinéma, mais Yalda, la nuit du pardon n’est qu’un intempestif brûlot dépossédé de tout regard d’artiste.
En
une époque où l’éducation aux médias est devenue aussi centrale que
l’histoire-géographie, on peut également se poser une question
d’actualité : la télévision, antre du spectacle par définition, avec ses
effets de scène et de manche, n’est plus qu’un prolongement symbolique – la
véritable place publique, celle des réseaux, semble étrangement mise de côté
par un film encore enfermé à l’époque des SMS à 0.35€ la minute. Une remise en
question qui n’aurait pas forcément lieu d’être si Yalda avait fait le choix de s’exposer en symboles, mais sa nature
fondamentalement illustrative et soi-disant contemporaine en font un film déjà
dépassé par l’actualité qu’il voudrait illustrer. Un flux médiatique n’est plus
unique, il est par définition pluriel.
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