Critique écrite pour Le Blog du Cinéma en 2020 pour la sortie du film.
Il est à priori impossible de ne pas penser à Eric Rohmer en découvrant Eva en août : l’été, une femme en quête de sens, des discussions existentielles sur fond de cigales. Plus qu’une influence, Rohmer est un véritable genre chez l’espagnol Jonás Trueba – un cinéma visiblement plus à la mode que les blockbusters américains en cette nouvelle ère post-Covid, puisqu’après le français Guillaume Brac (A l’abordage !) et le coréen Hong Sang-soo (Hotel by the River), c’est le troisième film manifestement inspiré du réalisateur de Ma nuit chez Maud qu’on nous permet de découvrir d’une manière ou d’une autre, depuis le début de l’été. Trois pendants d’une même pièce, d’une même intention, de mêmes codes, ultime bastion d’une façon très singulière de définir le cinéma estival : plus qu’une suite de pyrotechnies, ce sont des explosions sentimentales et intimes qu’on nous donne à voir. Celles, assez consécutives du tumulte de nos sociétés, d’une nature humaine en léthargie, navigant au fil des rencontres et des imprévus.
S’il
fallait d’ailleurs définir un film de Rohmer particulièrement proche d’Eva en août, ce serait Le Rayon Vert, dont Trueba fait varier
l’élément déclencheur : dans le premier, Delphine cherche désespérément à
partir en vacances – dans l’autre, Eva choisit délibérément de demeurer en
ville, terre délaissée chaque mois d’août et qui se métamorphose en un décor de
cinéma profondément fascinant. De la mégalopole bruyante apparaissent rues
désertes et guinguettes de campagne ; chaque son, étouffé, laisse place
aux discussions les plus profondes – celles qui naissent des transitions. Des
transitions qui surgissent du mois d’août, charnière annuelle de vies qui se
transforment.
Eva en août, à la Rohmer, est donc logiquement un récit initiatique où l’initiation est une introspection. Pas vraiment d’intrigue, ni de finalité narrative, seulement une tranche de vie où se joue l’existence elle-même, sans forcément de belle solution redéfinitoire : on ignore l’avant, on devine l’après, sans que ceux-ci aient une importance autre qu’intuitive.
L’amalgame
pourrait paraître réducteur – il est en fait l’armure d’une partition
parfaitement assumée : si Trueba référence Rohmer, c’est pour mieux le
faire tourner, pour mieux le tordre. Film madrilène, film générationnel, Eva en août est paradoxalement un pur
produit de son époque. Les questionnements de l’héroïne, innovant à travers
quelques micro-variations imperceptibles, s’imprègnent alors d’une étonnante
mélancolie : celle des étés-canicules, des soirées eco-cups, de la pensée
mondialisée d’internet, et bien entendu du parasite technologique qui brille de
par son absence. C’est comme si, le temps de quelques semaines chaque année,
l’humain se retrouvait face à sa propre vérité.
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