Critique écrite pour Le Blog du Cinéma en 2017 pour la ressortie du film en version restauré.
Chine, années 20. Un château, un homme riche, ses quatre femmes, les domestiques. Il y a quelque chose de fondamentalement théâtral dans Épouses et concubines : dès la première minute du film, Zhang nous introduit à un espace que nous ne quitterons jamais – respectant ainsi cette unité de lieu propre au huis clos – pendant trois « actes » saisonniers qui rythment ce portrait couleur rouge de la condition féminine au sein d’une oppressante patriarchie. Connu pour ses penchants féministes, Zhang évolue dans un territoire thématique connu, ici plus que jamais à l’apothéose qualitative de sa filmographie.
Peu
de personnages humains, mais beaucoup de protagonistes inanimés, à commencer
par ce palais sans âge et ces lanternes rouges que l’on allume, éteint et
déplace au grès des bonnes volontés du maître. Épouses et concubines c’est la dictature des hommes, mais
c’est aussi la dictature des coutumes, des symboles et des traditions. Un code
de conduite qui dicte la vie, la mort, la folie, des massages de pieds comme la
naissance d’enfants.
Entre
ces quatre murs, tout est millimétré, impassible – chacun, chacune est à sa
place. Dans cet univers qu’il découpe à la règle, Zhang éteint d’abord l’humain
pour mieux le faire renaître. Un humain, non pas de chair, mais de sang. L’âme
de tous semble aspirée par les murs froids de ce château, horizon des
personnages féminins et de la caméra : nous sommes enfermés. C’est dans
cette rigueur de la mise en scène que l’apparent classicisme de Zhang prend
tout son sens : en peignant avec beaucoup d’empathie la violence intime de
ces contrats sociaux rigides, l’étouffement du spectateur est total. Dans ce
monde où ces femmes sont obligées de se battre pour l’intérêt d’un homme, rien
ne peut vivre. Tout est rapidement destiné à mourir.
Certaines
sombrent dans la folie tandis que d’autres se soumettent, après s’être
entre-tuées pour voir leur lanterne s’illuminer le temps d’un soir. Zhang se
montre très fataliste, mais surtout très virulent à l’encontre de la société
chinoise d’hier et d’aujourd’hui – ainsi que, plus généralement, des écarts qui
peuvent encore exister entre les sexes au-delà des frontières de l’Empire du
milieu.
Si la condition féminine est le sujet évident d’Épouses et concubines, la grande violence de son propos est, elle, beaucoup moins évidente. Il y a, dans cette hyper-sophistication du hors-champ, un nouveau rappel à la nature asphyxiante du cadre de Zhang. C’est peut-être là son plus grand coup de génie : la mort elle-même devient un fantôme, invisible. Un fantôme comme ces femmes qui ne font plus qu’errer et haïr. Il n’y a plus d’amour, de confiance, ou de vérité. Tout n’est que mensonges, intrigues et trahisons.
Zhang Yimou sait se montrer cruel. Épouses et concubines est brutal sans être sanglant, engagé sans être utopique – donnant à sa muse Gong Li le rôle de sa carrière, il fait surtout preuve d’une aisance remarquable quand il s’agit de donner vie à ce microcosme glacial aux teintes rouges et à la géométrie chirurgicale. Épouses et concubines, monument du cinéma chinois moderne, est un chef d’œuvre qui révolte autant qu’il émeut, à la fois diaboliquement sadique et fatalement pessimiste. Sa version restaurée, qui ressort le 14 juin dans nos salles, redonne au cadre de Zhang toute la puissance de son travail macabre et poétique de la couleur. Un immanquable, tout simplement.
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