Critique écrite pour Le Blog du Cinéma en 2019. S’il est une radicalité qu’Albert Serra n’a pas encore utilisé comme arme, c’est bien celle de la violence visuelle pure. La subversion de son cinéma n’est pas un coup de sabre, ni un coup de sang, ni un coup de bite, mais une agonie, lente, apathique, engourdie – n’est véritable et difficile que l’immobilisme de son art, que d’aucuns qualifieraient de poussiéreux. Cette poussière, bien présente, n’est pourtant pas celle de l’âge – c’est celle d’un musée, d’une exposition brutale du vice de l’existence.
Liberté. On pourra
reconnaître à Serra la sobriété de ses titres – mais là où La Mort de Louis XIV avait une intention presque scientifique, Liberté se voudrait politique,
philosophique, existentiel, sociologique. Normatif, même. Ce – cette ? – Liberté, c’est une question autant qu’un
état, une valeur descriptive autant qu’une réflexion perpétuelle. L’équation
que pose le cinéaste espagnol dès l’établissement de ce titre, c’est de se
demander ce qui a nature de liberté dans son film.
Il y a trois fantasmes libres qui parcourent le dernier
Serra. Le premier, c’est celui du spectateur. Libre à penser et à arpenter
l’objet étrange qu’est Liberté, mais
prisonnier de ces décors, de cette narration et de cette salle obscure où,
finalement, il n’a pas d’autre choix que de regarder.
On se surprend à détourner le regard, ou à fermer les yeux, devant Liberté. Qui y a-t-il à rater ? Le
montage, naturel, d’une temporalité proche du vivant, fait du film de Serra une
réalité que l’on peut se permettre d’apprécier morcelée. La liberté du spectateur est-elle celle de
penser le cinéma ?
Le deuxième fantasme, c’est celui du cinéaste. Serra est-il
lui-même libre de créer ? Est-il
libre quand il filme cette débauche ? Quand il abandonne tout carcan
scénaristique, tout code, tout enjeu fictif ? Quand il répète, rerépète,
mouline et tourne ce catalogue de scénettes sexuelles aussi uniforme que
cyclique ? Est-il libre quand, si confiant de sa méthode radicale, il
abandonne son cinéma à une sorte de hasard divin, cosmique, où temps, jeu et
montage sont laissées sauvages, autonomes, uniques. Intelligents.
Enfin, une troisième hypothèse, la plus évidente – ses protagonistes. Est-ce être libre que de pratiquer telle sexualité sadienne ? De se faire uriner dessus, dans le crépuscule d’une forêt ? De rendre flou la hiérarchie d’un noble et d’un serviteur quand, dans l’excitation orgiaque, ils sont finalement deux hommes nus égaux face à leurs péchés ?
Peu de films ressemblent à Liberté. Peu de cinéastes ressemblent à Albert Serra. Si une telle
radicalité dans ce qui est demandé au spectateur saura diviser, il est pourtant
difficile de rester de marbre devant telle démarche. En plus d’être
foncièrement anti-spectaculaire, Liberté
est un parcours difficile, exigent, à la beauté plastique pourtant pénétrante.
Et quand l’utopie de la liberté, qu’on pensait acquise et consommée, se
transforme en une illusion (à l’image de ce plan final inoubliable), cette
beauté devient alors spirituelle – et, comme souvent chez Serra, profondément
noire et nihiliste.
historiquement, il est arrivé au cinéma https://cpasmieux.video qu'une personne choisisse toujours tout
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