Ce
qui fait peut-être des premiers films de Jean-Luc Godard ses plus grands
accomplissements populaires, c’est l’anarchie qui y règne. Non pas le désordre
esthétique présent dans certaines de ses réalisations contemporaines (qui,
faute de lisibilité, est cependant porteur d’un manifeste artistique inépuisable),
mais un chaos contrôlé, directif ; puisque c’est ça, au fond l’anarchie :
un ordre social libre, mais un ordre social quand même. Pierrot le Fou est ce sens le meilleur exemple de cet axe
analytique : en témoigne, si seulement c’était nécessaire, le scandale qui
suivra sa sortie où il sera traité de tous les noms, étiqueté amoral et de
danger pour la jeunesse. On l’interdira d’ailleurs aux moins de dix-huit ans,
comme si un discours antisystème était pornographique.
Ce
qui se rapproche le plus du pornographique dans Pierrot le Fou, c’est sans doute sa proposition d’amour fou :
celui pour lequel on lâche tout, celui pour lequel on réinvente, celui qui nous
fait détruire – non pas pour reconstruire, mais pour mieux écrire. Pierrot le Fou présente deux types d’anarchisme :
le premier débute lors du virage opéré par le personnage principal, Ferdinand,
qui lâche ses habitudes bourgeoises, sa femme et ses gosses pour s’enfuir avec
une jeune fille rencontrée en soirée ; le deuxième, celui de la méthode
godardienne – son tournage improvisé, sans scénario, en s’appuyant
vaguement sur un livre et sur la vitalité générée par ses acteurs ; son
montage autonome, qui semble s’agencer de lui-même selon des codes qui s’inventent
au fil des rencontres, au fil des obstacles, au fil des instants.
Cette
méthode résonne particulièrement avec l’ambition « politique » de Godard, car elle se base sur une conjecture presque
anti-fictive (à l’époque, en tout cas) : en allant chercher, à travers l’improvisation,
des moments de réel, il asserte que celui-ci serait par définition anarchique –
contrairement, donc, à un cinéma classique, ordonné, calculé. C’est donc au
fond cela que va chercher Godard : la vie, sa folie, son imprévisibilité.
La rupture d’un quotidien ordonné vers l’aventure bohème sans système est caractéristique
de cet abandon de formes de cinéma agencées – le cinéma godardien parle avant
tout de lui-même. Égocentrique ? Non, tragédie : celle du poète
maudit, celui qui pensait vivre mais qui a juste filé droit vers la damnation ;
et qui, dans son dernier souffle, se demande quelle était la liberté véritable.
Le
voyou n’est pas si loin du poète : un vers n’est-il pas une exaction ?
A travers son final, Godard interroge ces deux figures : est-on prêt à
assumer le suicide social ? Au fond, ce que propose Pierrot le Fou, c’est une alternative d’existence – celle de
la vie libre, celle d’une autre « façon »,
sur laquelle il ne se positionne étrangement pas. Il se place en témoin de
cette balade, de cette utopie momentanée ; car elle aussi a une fin. Dans Pierrot le Fou, il y a le sud, des
routes et des barrages, le ciel et le soleil, des fous et des vivants, des
sages et des prisonniers. Godard n’est
pas un juge, il est général, il est écrivain, il est un dieu grec : il
aime et il hait, il donne vie puis il tue. En approchant presque primitivement
les drames et les joies de l’existence, il en dresse la palette de couleurs, où
n’existe ni monochrome ni noir et blanc, seulement des tableaux éclatants.
Au fond, ce que propose Pierrot le Fou?
RépondreSupprimerSi tu veux, on peut aller au cinéma un jour.
Supprimer- Merci, mais les films que j'ai vraiment envie de voir sont ceux que je regarde seul et avec https://papystream.tv/aventure/ autre chose...