Dans
ce petit village d’argentine, la vie semble calme. Preuve en est, quelle que
soit l’heure de la journée, les rues sont toujours vides, et dans la
quincaillerie où travaille Fernández, les clients ne se bousculent pas. Il y
travaille depuis ses quinze ans, attendant un peu trop patiemment la mort de
son patron, Don Vila, dont il est censé hérité des affaires. Un soir, il décide d’aborder une fille seule
qu’il avait déjà repérée depuis quelques temps. De ce quotidien ennuyant qu’on
bouscule (à moitié) d’un geste tout aussi banal, l’argentin Leonardo Favio
conçoit El Dependiente (L’Employé dans nos contrées), comédie
noire et objet étrange devenu culte dans son pays d’origine, pourtant encore
aujourd’hui ignoré en France. De quoi rendre l’expérience d’autant plus obscure
et le plaisir d’autant plus jouissif : ce n’est pas tous les jours qu’on
va déterrer ce genre d’anomalies.
Dans
la bourgade d’El Dependiente, chaque
trottoir semble mort : un désert urbain qui pose en face du spectateur un
premier choix esthétique, celui d’un silence non seulement sonore, mais visuel –
en clair, les décors ne parlent pas. On est nulle part et n’importe où à la
fois, à aucune heure vraiment précise, avec pour seul repère les seulement cinq
personnages du film. Cinq personnages, c’est peu, mais El Dependiente c’est aussi un choix d’épure narratif quasi-théâtral :
resserré autour de trois lieux d’action (la quincaillerie, la maison de la
jeune fille, et le trottoir qui les rejoint), d’un temps restreint (à peine
plus de quatre-vingt minutes) et d’un nombre limité de séquences, le film de
Favio initie de cette manière une notion plus élaborée qu’elle n’en a l’air,
celle de l’immobilité. Dans un film où rien ne bouge, qu’est-ce qu’on est
censés attraper ?
Cette
variation autour du fixe se tord dès les premières minutes du film,
discrètement, d’un geste qui ne perturbe pas ce mouvement paralysé : c’est
du figé que surgit une inquiétante étrangeté, rampante, qui donne cette
étonnante impression que, quand bien même rien ne se passe, tout pourrait
arriver. Quelques images éparses, quelques sons isolés viennent renforcer cette
idée d’imprévisibilité – cette apparition inattendue d’un cinquième
protagoniste ou la fameuse scène du chat en sont les témoins les plus
marquants, mais rendent véritablement compte de la manière dont la plupart des
scènes d’El Dependiente (et notamment
celles se déroulant dans la maison) s’écrivent progressivement avec comme chute
un sentiment de malaise ubuesque. De ce quotidien bien rangé émerge la folie,
le grotesque – et au long terme, une sorte de frisson de terreur lynchéen,
troublant, inquiétant et fascinant dans un même temps. La suspension apparente
du film n’est qu’une manière pour Favio pour nous laisser observer le vide
en-dessous ; l’équilibre est fragile, comme l’ellipse manifeste d’une
violence plus profonde, plus dérangée, plus animale.
Derrière
la comédie, le mystère. Ou l’inverse ? Avant de faire rire, El Dependiente interroge : qu’est-ce
qu’on est en train de découvrir ? D’une poésie naïve plus absurde que
touchante, le film de Favio s’articule autour d’un nombre limité d’accélérations
cauchemardesques, laissant entrevoir le grondement d’une menace lointaine, invisible,
qui font passer l’ersatz coenien à un alliage jouissif de réalisme magique, de Twin Peaks, d’American Beauty, et de Spike Jonze dans le cadre improbable d’une
bourgade argentine. Une ambitieuse réflexion sur l’emprisonnement social et
existentiel sous la forme d’une satire grinçante, effrayante, hypnotique – à redécouvrir.
Comment les films https://coflix.onl aléatoires améliorent-ils votre perception du monde ?
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