Raoul
Ruiz, c’est un catalogue proliférant, une œuvre qui s’étale sur six décennies
différentes, plus d’une dizaine de pays, et probablement tous les continents.
Personne ne le sait sans doute vraiment, puisqu’à part Ruiz lui-même, personne
n’a surement jamais vu l’intégralité de sa filmographie, cent-vingt films et
des poussières, auxquels il faut sans doute ajouter des réalisations
personnelles, perdues, obscures ou oubliées. Exilé du Chili suite au coup d’état
de Pinochet, Ruiz fait ensuite des « piges »
pour différentes télévisions et productions européennes : Le toit de la baleine, malgré le fait
que le néerlandais ne représente qu’un sixième des langues parlées, est fabriqué
puis tourné aux Pays-Bas. L’histoire ? Les mésaventures d’un groupe d’anthropologistes
tentant de déchiffrer le langage des deux derniers représentants d’une tribu amérindienne,
Adam et Eden, au fin fond de la Patagonie. Ou plutôt, la fameuse Patagonie de
Rotterdam, où Le toit de la baleine
fut tourné.
Le toit de la baleine, dès l’utilisation
de son panorama polyglotte (anglais, espagnol, français, néerlandais, allemand
et une langue inventée, celle des deux autochtones), articule son propos :
le film de Raoul Ruiz est une étude linguistique, une plongée teintée de second
degré dans les cultures du langage, son étude, ses pratiques. Avec cet humour
lunaire (quand il n’est pas structurel) qui caractérise nombre de ses films,
Ruiz décompose les codes d’une colonisation par la parole ; hiérarchisant
les voix (culture officielle, culture étudiée), posant la question du sens,
tournant en ridicule l’ethnocentrisme occidental. A trop vouloir mêler les
mondes, on se dirige tout droit vers une certaine forme de violence primitive,
seule véritable lingua franca en ce
bas monde.
Le toit de la baleine se teinte en
parallèle d’une mélancolie rêveuse, celle d’un exilé, loin de sa terre natale
qu’il réinvente à l’autre bout du monde. Raoul Ruiz raconte en filigrane sa
propre histoire : celle d’une histoire perdue, celle d’une civilisation
oubliée, celle d’une identité disparue. Cette recherche de mémoire, si
caractéristique du cinéma chilien (voir Patricio Guzman), imprègne Le toit de la baleine de cette imagerie martienne,
faite de surexpositions, de filtres monochromes et de décors bricolés
hypnotisant, évoquant presque du Tarkovski shooté au Technicolor. À la
photographie d’ailleurs, Henri Alekan, chef opérateur de Cocteau, Losey,
Wenders – entre autres. Lui aussi un touche-à-tout international.
Ce
que Ruiz va tourner en ridicule, ce n’est pas tant la linguistique – c’est la
recherche du sens absolu. On pourrait tenter d’y lire entre les lignes, mais ne
serais-ce pas entrer en contradiction totale avec le message du
Toit de la baleine ? Le langage de
Ruiz, cinématographique, si protéiforme et infini, et donc par conséquence indéchiffrable,
interdit toute vision d’ensemble – et ce même près de dix ans après sa mort.
Globe-trotteur des genres, des cultures et des langues, c’est un sujet qu’il
connait bien : l’interaction des pensées, des idées, des mots. Sa
conclusion mortifère, celle d’une ingérence tentaculaire d’un paradigme sur un
autre, singe finalement sa propre histoire – avant d’être un cinéaste en
mouvement, Ruiz était un homme en fuite. La fuite d’une politique, celle de l’effacement
de la parole, de la culture. La politique de l’assassinat du passé.
ici, au cinéma, il est évident que dans son choix, l'homme savait ce qu'il choisissait... et dans d'autres, que se passe-t-il dans les https://voirfilmvf.co/ films, à votre avis? le but n'est pas toujours vrai
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