Le Dieu noir et le Diable blond :
une antinomie dès le titre (français, en tout cas – le titre original
signifiant Dieu et le Diable dans la
Terre du Soleil) pour une projection lexicale de toute la symbolique du
cinéma de Glauber Rocha, figure emblématique du Cinema Novo brésilien dont ce
film est peut-être l’un des trois piliers fondamentales (avec Les Fusils de Ruy Guerra et Sécheresse de Nelson Pereira Dos Santos).
Rocha, qui en un peu moins de vingt de carrière (il mourra à seulement
quarante-deux ans d’une infection pulmonaire) et une dizaine de long-métrages,
a laissé une trace indélébile dans le paysage cinématographique brésilien, où
il est l’équivalent d’un Godard ou d’un Eisenstein, deux cinéastes dont il s’inspirera
d’ailleurs beaucoup – s’il partage avec eux des éléments de style (selon de
nombreuses variations) et une prise de position politique proche du marxisme
(ou en tout cas de la lutte du « petit
peuple »), il s’est pourtant inventé sa propre manière de faire parler
ses images, selon un grand axe sémiotique : la polarisation, l’opposition –
l’antinomie, justement.
Dans
le Brésil de Glauber Rocha, deux figures démiurgiques parcourent les terres
arides du nord : Sebastião, un prophète noir ayant réuni un groupe de
dévoués aveugles, et Corisco, un congaçeiro (autrement dit, un bandit de grand
chemin) sans morale. A leur poursuite, le célèbre Antonio Das Mortes, un
pistolero-machette engagé par le gouvernement pour assassiner ces deux menaces
bien différentes. Pris entre tous ces filets, Manuel et sa femme, anciens
vachers en fuite, se retrouvant emportés dans la tourmente de ces règlements de
compte d’une toute autre échelle. Au fil du film pourtant, Glauber Rocha tend vers
une élimination de ces idoles divines – une figure de style qu’il réutilisera
dans ses réalisations suivantes, comme pour écrire le récit parcellaire de
cette mort accélérée du prophétisme et de ses nombreuses articulations. Il n’y
a plus la place pour les dieux sur cette Terre – seulement pour les Hommes, et
leur propre violence.
La
Terre de Glauber Rocha, c’est le sertão, ce désert au nord du pays, abandonné
des villes et des évolutions, monde à part d’abord ignoré par une certaine culture populaire puis finalement devenu
un emblème des disparités socio-politiques brésiliennes. Ce sertão comme une
nouvelle allégorie de ces oppositions : « Et le sertão deviendra mer, et la mer deviendra sertão ». La
mer comme l’autre Brésil, et ce retournement comme l’annonce d’une révolution –
aura-t-elle seulement lieu ? Contrairement à Eisenstein, dont il s’inspire
jusqu’à reprendre la célèbre scène des escaliers du Cuirassé Potemkine, Rocha ne s’intéresse pas tant à la notion de rébellion
prolétaire qu’à celle de l’assujettissement : dans son paradigme
néo-colonialiste, des populations n'étant pas parti-prenantes au débat public se
retrouvent à fuir le monde qui les opprime. Plutôt que de faire le récit de
leur impossible soulèvement, Rocha leur donne une voix et témoigne de la mort
programmée de ces opprimés, à défaut de celle de l'espace des puissants, dans
un prolongement de ce que lui-même nommait « l’esthétique de la faim ». L’oppression subie, quelle qu’elle
soit, ne pourra s’exprimer que par le prisme de la violence : c’est la
seule parole possible pour rendre compte de cette soumission.
Brûlot
à l’imaginaire anarchique, entre western et Jodorowsky, Nouvelle Vague et
montage soviétique, Le Dieu noir et le
Diable blond porte en lui le témoin d’un dogme cinématographique :
celui, trop inconnu de beaucoup de cinéphiles occidentaux, d’un Brésil en
transe. Naît alors des cendres de l'affamé une comédie musicale sauvage,
sociale, et grandiloquente, d’un lyrisme grossier et biblique, puisant
allégrement dans l’imaginaire collectif brésilien pour la formation d’un objet
brutal, transcendé par la folie naissante de ses personnages mythologiques. Une
fresque chaotique, archive unique d’une prise de conscience filmique du
tiers-monde postcolonial, et donc un indispensable. Loin de tout misérabilisme,
Rocha fait état de la violence d'une terre lointaine qu'on façonne primitive.
★★★★★
ces idoles divines
RépondreSupprimeril se passe tellement de choses, dans le film https://voirfilmvf.cloud il y a des moments intéressants
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