Alia. Alia comme alias, alias comme
autrement, autrement comme un chemin qu’on n’ose pas emprunter. Mais Laurence
Alia n’est pas Laurence Alias, il est Laurence Anyways. Anyways, peut-être un peu comme tous ces chemins dont on ne garde
qu’un seul. Ainsi Laurence Anyways
pose la question du possible – non pas en l’opposant à l’impossible, car
au-delà d’un amour, rien n’est impossible pour Laurence ; mais en écrivant
l’histoire d’une transformation. Car au fond, quoi de plus synonyme d’un possible
que l’accomplissement d’une métamorphose ? Telle la chronophotographie d’un
mouvement physique, Dolan décompose son troisième film en un patchwork d’images dont
ses personnages sont prisonniers. Qu’il s’agisse d’un format carré dans Mommy ou d’un fantasme symbolique dans Ma vie avec John F. Donovan, cette
question de l’image assimilée à un huis-clos imperceptible est centrale dans l’œuvre
du cinéaste québécois : si la plupart essaient de le fuir, de s’en
libérer, Laurence Anyways pose une
question fondamentalement différente – et si, plutôt que de la subir, on
pouvait vivre l’image ?
Vivre
une image, chez Dolan, c’est se laisse porter par elle, par ses possibilités,
par sa manière de transformer un regard. Cette idée, déjà amorcée par ses deux
précédents films et qui trouvera son aboutissement dans la séquence Experience de Mommy, elle rythme chaque scène de Laurence Anyways : loin des drames, des préjugés et de l’époque,
Laurence trouve sa voix dans le pictural seul, sorte d’interlude clipesque devenu
véritable signature de son auteur. Qu’est-ce que cela signifie, au fond, à part
marcher au ralenti sur du The Cure et danser sur Fade to Grey ? Pour Dolan, c’est une échappatoire. Ce sont ces
envolées visuelles, musicales, émotionnelles, qui font de lui l’un des plus
grands cinéastes de sa génération : non pas parce qu’il a en référence ses
prédécesseurs, mais parce qu’il cite son époque, sa jeunesse, et l’avènement d’une
forme d’image. L’image de cette génération. Celle des écrans, celle du câble télévisé,
celle des clips et d’internet, celle des réseaux et du nouveau paraître, celle
qui regarde les années 80 avec nostalgie sans l’avoir vécu, celle qui s’anime
des transformations sociales. Cette génération qui traverse et fuit l’existence
un casque sur les oreilles, bercée par les playlists Spotify comme une
bande-originale du monde réel, qui fait d’une simple marche rythmée un
véritable pas de danse, qui fait d’un marginal le héros de sa propre histoire, qui
fait du moindre instant de vie un moment de cinéma inoubliable.
Vivre
l’image, c’est aussi cette assimilation des images perçues. Quand l’on devient
soi-même une image, c’est comme si on reprenait le contrôle – le contrôle
des regards, le contrôle des stéréotypes, le contrôle des visages. Devenir
gris, devenir femme, même combat : quitte à se transformer, autant le
faire en musique. Alors, comme par magie, deux yeux de rejet deviennent
admiratifs.
Fresque
d’une époque évoquant une toute autre modernité, Laurence Anyways s’empreint de nostalgie comme de rêves d’avenir :
le passé n’y est jamais l’unique lieu du bonheur, car il est source d’un
malaise. Ce malaise d’un genre, ce malaise d’un corps, ce malaise d’une
sexualité qui devient alors interchangeable – avec en conséquence, bien sûr, l’éclatement
d’un microcosme et de ses tensions sensibles. Plus qu’un tour d’images, c’est
un tour de magie : jour après jour, l’entrecroisement de destinées à
jamais liées, défilant comme le flot de la vie avec comme point de départ et
point de chute deux éventualités bien distinctes – d’un côté, un nom ; de
l’autre, un être. Rencontrez les deux, et la musique peut commencer.
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