Si Sayat Nova retient particulièrement l’attention
au sein du riche panorama du cinéma soviétique (arménien ?), pourtant
peuplé d’originaux plus ou moins célèbres comme Tarkovski, Sokourov ou Lopouchanski,
c’est aussi peut-être parce que contrairement à ces autres exemples, Paradjanov
(son réalisateur) semble avoir découvert l’image filmé et ses possibilités en
même temps qu’il tournait son film. Si pour bien des long-métrages, au fil des
années, on a pu répéter « celui-là
ne ressemble à aucun autre », Sayat
Nova est possiblement le seul de tous à véritablement mériter cette
description : cet objet arménien débarqué sur la planète Terre en 1969 a
inventé sa propre manière de concevoir le septième art. Il est même
particulièrement compliqué d’en délivrer une analyse tant le film de Paradjanov
évite tout critère ou code envisageable comme un potentiel point de départ pour
une appréciation critique, tant objective que subjective : il n’y a pas d’histoire,
il n’y a pas d’acteurs (tout au plus des êtres humains catapultés sur une pellicule),
il n’y a – à vrai dire – même pas de scène. Des tableaux alors ? Même pas.
Une installation ? Ce serait réducteur.
Seule
intention visible (car énoncée) de Paradjanov, celle de trouver une poésie –
celle de son personnage et sujet principal, le poète médiéval Sayat Nova. C’est
peut-être la meilleure manière de le résumer : cette recherche
imperturbable d’une forme de l’écrit d’un autre temps, d’une autre humanité. Et
puisque l’œuvre de Sayat Nova est probablement encore plus obscure que son
existence, difficile pour quelconque cinéphile curieux d’en juger la véracité :
mise à part essayer d’abord de déchiffrer un brin de sémantique avant de
finalement s’abandonner à l’admiration béate d’un tel élan créateur, difficile
de faire quoi que ce soit. Car oui, nul autre destin que celui de faire table
rase de tout biais culturel face à ce film. Tout le monde est égal face à Sayat Nova, de la même façon que tout le
monde est égal devant une fresque médiéval mettant en scène un seigneur, des
serfs est un château : ces compositions nous semblent abstraites car nées
de l’ancien monde.
Sayat Nova renoue avec une idée de l’image
qu’on pouvait avoir au Moyen-Âge : cet aplat des perspectives, des reliefs ;
cette palette de couleurs sans artifices ; ces choix étranges,
irréalistes, de faire jouer l’action, la symbolique et le temps sur un même
plan immobile, incarné d’une plasticité désuète. Et pourtant, Paradjanov ne
fait pas un film-tableaux : il joue des sons, de gestes cycliques presque
atemporels, il recompose sans jamais reformuler. On sait par avance où nous
emmène chaque « plan » mais
il semble impossible d’en prévoir la durée, ni même encore (et c’est normal) la
force sensitive.
Parler
de Sayat Nova c’est comme parler d’un
objet préhistorique : nos repères sont flous, notre sensibilité est notre
seule arme. Pourtant, et c’est bien là un rebondissement, tout cela est un
film, un vrai, un original, et on ne saurait dire s’il a été fait par des
aliens ou par des peintres du XIVe siècle. Seule certitude : c’est par ce
genre d’écarts indescriptibles que le cinéma nous laisse entrevoir une réalité
alternative, celle où – plutôt que dicté par le mouvement interrompu du temps
et de l’action – il aurait pu être régi par un moteur tout autre, inconnu,
inimaginable. Ce serait comme découvrir une nouvelle couleur. Sayat Nova, comme un témoin de cet autre
monde, nous laisse mélancoliques : pourra-t-on un jour explorer ces
milliers de films extratemporels ? Et si chaque film était le premier de
sa propre histoire du cinéma ?
histoire du cinéma ?
RépondreSupprimerOn estime qu'une erreur corrigée à temps n'est plus une erreur. Mais parfois, l'essentiel - le consentement des personnes les plus proches de vous - ne suffit pas pour corriger une erreur. Mais comment cela fonctionne-t-il dans les https://streamingvf.video/action-hd/ films ?
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