Tokyo,
fin des années 60. Le cœur de Shinjuku bat plus fort que jamais : les
hommes deviennent femmes, les excès sont passionnels, la fête est une constante
– la pensée, aussi. Toshio Matsumoto, en grand explorateur précoce, décide d’y
poser sa caméra pour son premier long-métrage : l’affolant Les Funérailles des roses, relecture
queer, nippone et expérimentale du mythe d’Œdipe, rencontre explosive de la
Nouvelle vague française et de l’émancipation morale (et sexuelle) japonaise.
Le résultat, sorte d’hybride des formes et des influences, n’a pourtant rien de
l’artifice.
D’abord
fiction, puis documentaire, avant de nous abandonner dans un intermédiaire
indéfinissable, Les Funérailles des roses :
un brouilleur de frontières qui, derrière l’expérimentation, cache une démarche
artistique profondément novatrice. Au-delà du flou, un dogme – celui d’un « nouveau réalisme ». Matsumoto fait délibérément
le choix de ne pas en faire, comme si – pour lui – le documentaire et les
nouveaux codes d’avant-garde initiés par les différentes nouvelles vagues n’étaient en rien incompatibles. Les langages se
complètent, se répondent, et l’identité incertaine de Les Funérailles des roses naît de cette conséquentielle
polyglossie. Un peu comme celle de ses personnages, d’ailleurs, ni vraiment
hommes ni vraiment femmes en cette époque où les mœurs n’avaient encore rien
accepté – triste vérité également admise pour les protagonistes eux-mêmes,
parfois au bord d’un gouffre existentiel : comment se regarder dans une
glace sans vouloir se crever les yeux ?
Les Funérailles des roses fait le
funambule sur une notion subtile de distanciation, sur laquelle il ne statut
jamais définitivement. Quand Matsumoto se met à interviewer ceux que l’on
voyait jusque-là acteurs, ce n’est pas pour maladroitement énoncer que « oui, tout ça est bien réel ». Non,
ce qui l’intéresse, ce n’est pas l’histoire vraie – mais la mythologie dont il
est le maître. Cette réalité qu’il reconstruit, façon plans accélérés et
montages saveur JLG, à partir d’un vivier bien réel – et dont il s’amuse à
reformuler l’existence même. Ce que Matsumoto remet en question, c’est le fait
même d’une objectivité documentaire : sa vision du réel à lui, il l’aborde
logiquement subjective.
La
peinture réaliste se mute progressivement en fabrication surréaliste, méli-mélo
de ruptures de tons, de rythmes, d’effets. Matsumoto expérimente les formes
selon une partition sensitive, celle de cet espace physique et atypique des
nuits virevoltantes de Shinjuku. Œdipe ? Un prétexte pour faire naviguer
son regard et rompre les évidences. Tragicomique et poético-vérité, Les Funérailles des roses est le
témoignage étonnant d’un microcosme qu’on aurait pu difficilement capter
autrement qu’avec cette sensibilité teintée d’humour, cette fascination
parsemée de doutes, celle d’un auteur épargné des tabous éthiques, moraux et
artistiques qui avait compris que le cinéma n’était ni une fiction, ni une
non-fiction, mais sa propre raison : celle d’une nouvelle réalité où ses
personnages pourraient enfin s’épanouir.
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