Des
auteurs américains les plus importants des années 2000, on écarte facilement
Richard Kelly – et c’est d’autant plus injuste qu’il n’a réalisé des films que
lors de cette décennie. Le succès d’estime de son premier long-métrage devenu
culte, Donnie Darko, le met sur un
piédestal qu’il n’arrivera jamais à retrouver. Southland Tales, comme The
Box, seront la risée de la critique. Si le second, série B au concept
élégant pas vraiment rentabilisé, n’a pas forcément besoin d’une nouvelle vie –
il serait temps, alors que l’actualité et la pertinence de son propos
prophétique se fait de plus en plus évidente, de réhabiliter le premier comme
l’objet cinématographique unique qu’il a toujours été, mais qu’il est aussi
devenu.
Southland Tales c’est d’abord une galerie
de personnages, tous issus d’une certaine idée de l’état du monde que l’on
pouvait avoir au début des années 2000, au lendemain du 11 septembre : un
vétéran de l’Iraq, omniscient, narrateur de ce cirque scénaristique ; une
star du cinéma d’action, amnésique et névrosée, ironiquement interprétée par
Dwayne Johnson ; et deux jumeaux policiers pris dans des affaires de
kidnapping de groupuscules néo-marxistes. Au croisement de plusieurs obsessions
qu’il personnifie ainsi (le terrorisme, les dérives sécuritaires, l’influence
et la radicalité grimpante de l’industrie du divertissement), le film de
Richard Kelly se place dans un entre-deux qui signera son arrêt de mort :
aussi radical que la réalité elle-même, plus baroque que le baroque, ce
patchwork politique, artistique et médiatique est aussi un témoignage. Le
témoignage loufoque d’une potentialité du monde tantôt kitsch, tantôt risible,
tantôt glaçante de vérité.
La
logique de Southland Tales se calque
sur un constat : dans notre ère de l’information, l’overdose est imminente,
pris dans la tempête d’un flux médiatique incessant, infini, intrusif. Ce que
Richard Kelly entend, c’est remettre l’ « image » à la place qu’on lui donne dans une société qui ne
peut s’empêcher d’en produire en constant. A l’heure de la vidéo sur internet,
des chaînes d’information, des caméras de surveillance, des paparazzis (on suit
une star de cinéma), l’image n’est plus une reproduction : elle prend la
place de la réalité elle-même.
Imaginer
l’éventualité d’un monde où Fox News est devenue la norme, où la surveillance
constante est devenue une évidence au sein de notre sphère privée : Southland Tales est un film hystérique,
multimédia, multifactoriel, décousu, dément, fantasmagorique, hallucinogène. Un
kaléidoscope sans fin, fait d’illusions et de sursauts visuels, narratifs et
créatifs. Le propos de Kelly, c’est aussi sa grammaire cinématographique :
tous ces flux sont des procédés de mise en scène, plaçant l’écran au sein de
l’écran, multipliant les sources vidéo (amateur, publicité, news, internet,
etc.), et formant ainsi deux mondes bien distincts – celui du réel, celui des
images. Celui des images étant, paradoxalement, le plus tangible des deux, le
plus sage, le moins excitant – le seul qui semble totalement abandonner une composante
onirique.
La
construction de l’ensemble sombre alors dans l’anarchie, où toute image perd sa
sémantique, afin que leur juxtaposition soit justement porteuse d’une
évidence : si la fin du monde devait advenir, elle serait aussi complexe et
désœuvrée que notre réalité, dont la folie grandissante se corrèle à cette
obsession de l’image sous toutes ses formes : figures, reflets, symboles,
illusions et morceaux de mouvement capturés.
Ce
n’est pas vraiment un hasard que Kelly, comme dans ses deux autres films,
pioche si allègrement dans l’imaginaire biblique ; avec en ligne de mire,
évidemment, l’idée d’une apocalypse amorcée par la folie de l’Homme lui-même.
Comme si il écrivait un Troisième Testament, une cinquième Évangile, où le
Firmament serait fait d’écrans de télévision et le Panthéon de stars de cinéma.
L’hystérie qui rythme Southland Tales
d’une orchestration si chaotique n’est alors pas tant une projection qu’une
fable : dans ce délirium pas si lointain de notre monde, l’Art est alors
notre dernier espoir d’onirisme, et donc de stabilité. Les rares scènes où le
film se suspend, s’arrête, respire ou réfléchit ont un point commun – elles
tentent d’oublier la réalité pour finalement y revenir, et apercevoir ainsi la
catastrophe imminente, intime quand elle n’est pas globale.
Ce
que préface Richard Kelly, c’est l’avènement d’une autre Amérique. Souvent
qualifié de post-11-septembre, Southland
Tales serait d’avantage une œuvre pré-Trump : l’antichambre d’un
nouveau paradigme, fait d’une mythologie extatique, épileptique, médiatique,
aussi stupide que putassière ; bâti également autour d’un modèle
panoptique de contrôle, de surveillance, prophétique de Snowden et de
PRISM ; traçant les formes d’une société paranoïaque, intense, animée de
toutes parts.
Southland Tales n’est pas seulement
observateur de son temps – il en a compris les enjeux, les obsessions, et donc
les points de chute.
Richard Kelly fait
le bilan d’une nouvelle ère de l’information, terreau d’un capitalisme incontrôlable
et d’une perception du monde complètement reformulée, aux symboles antiques
chamboulés. Dans cet empire de l’apparence où la représentation est maîtresse
de tous, chaque détail se noie dans un océan visuel, auditif, sensitif. Chez
Richard Kelly, la fin du monde ne se fait non pas avec un bang, mais dans un
murmure. Le murmure de sept milliards de voix communes. Le murmure d’un modem.
Le murmure d’un générique de fin. Chez Richard Kelly, le monde est un mauvais
film, extravagant et boulimique, et sa fin n’est donc qu’une farce absurde – et
pas très drôle.
★★★★★
combien je regarde des vidéos de motivation avec cet acteur https://sitedestreaming.co de cinéma, il inspire ...
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