Derrière
les vitres-miroirs infinies de sa tour d’ivoire, dans le recoin d’un bureau
comme mille autres, photo de famille à gauche, stylos bien rangés à droite, se
terre notre héros du jour : un avocat en droit privé, sorte de pion en
costard des grandes pontes de l’industrie chimique. Chaque jour, il baisse les
yeux devant des exactions ayant tout d’une évidence pour s’affairer à la
réussite de sa belle carrière bien polie. Mais le jour où le destin le met face
à sa propre conscience, à ses propres origines – un prolo, peut-être ? –
il se retrouve obligé, pour la première fois, de faire un choix éthique. Dark Waters, comme bien d’autres films à
dossier avant lui, aurait pu s’intéresser à ce dilemme – mais ce qui intéresse
véritable Todd Haynes, comme on aurait bien sûr pu s’en douter, ce n’est pas
tant les sursauts d’un individu face à sa propre servilité , mais davantage la
poésie planante de la marginalité contemporaine : celle pour qui
résister n’est pas un combat, mais un réflexe inconscient, quotidien,
imperturbable.
C’était
déjà une anomalie du Révélations de Michael
Mann, en 1999 : le pot-au-rose, la clé de l’intrigue, le dossier, la « révélation » en elle-même, ce n’est
pas le sujet. Les personnages n’ont d’ailleurs jamais vraiment l’air surpris
lors de la scène très codifiée de l’annonce-choc : Nixon met sur écoute
ses opposants, la clope ça tue, le téflon c’est tout aussi pire. Derrière le
drame politique, on préfère parfois le drame humain – derrière les milliers de
morts, on choisit la déroute d’un seul. C’est sans surprise la plus belle
réussite de Dark Waters : aller
chercher, dans ce destin solitaire, la tragédie cérébrale sans frasques et sans
course-poursuites. Mark Ruffalo, tout en modestie et en retenue, porte le film
sur ses épaules, enveloppant chaque plan d’une présence bienveillante,
tranchant radicalement avec la parure glaciale des choix esthétiques d’Haynes.
Dark Waters finit malheureusement par
être étouffé par son histoire : prisonnier du réel, des faits historiques –
encyclopédiques ? – le style de Todd Haynes se retrouve figé, amorphe, et
finit fatalement par ennuyer. De ses élans visuels morbides et oniriques ne
demeurent quelques images, ici et là, avec l’impression désagréable que le
cinéaste américain n’a jamais trouvé la clé de son film, la clé de son
personnage, la clé de son sujet.
Ni un Don Quichotte environnemental, ni une allégorie
anti-Trump, Dark Waters a les
intentions des meilleurs Todd Haynes mais n’en acquiert jamais le souffle :
ne demeure que ce parcours atypique, celui de son personnage principal, qui s’échappe
de structures scénaristiques trop évidentes pour s’aventurer dans un au-delà
psychique, intime, voire abstrait, qui dénote clairement au sein d’un genre
fait usuellement de lieux communs. Avec pour seul antagoniste l’ombre
imperceptible d’une bureaucratie impénétrable, Dark Waters n’en fait d’ailleurs jamais un portrait démoniaque :
la réalité du cosmos de Todd Haynes, c’est que le monde est fait de nuances de
gris. Sa palette de lumières est d’ailleurs ici exactement la même.
★★
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RépondreSupprimerbonjour, continuez à réussir, j'espère que vous serez chanceux.
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