Si Watchmen est resté, pendant plus de vingt ans, une matière inviolée
par l’industrie cinématographique, c’est qu’il y avait bien une raison :
comment rendre justice à une œuvre aussi dense, complexe, et finalement en
contraste total avec ce qui fait la richesse habituelle du « film de superhéros » ? Son
propos anarchique, antihéroïque, chaotique – de la plume d’un auteur qu’on a
toujours su profondément antisystème. Hollywood, au fond, était un paradoxe.
Zack Snyder, en 2009, ne put d’ailleurs s’empêcher de jurer une allégeance
quasi-aveugle à Alan Moore : le comics comme story-board, au point que son
style si caractéristique se retrouvait pris entre deux eaux. Le résultat,
hybride et fascinant, demeure l’une des meilleures adaptations de comics du
cinéma américain, malgré les changements apportés, contre vents et marées, au
roman graphique d’origine. Quand la paire magique d’HBO et de Damon Lindelof
annoncent la mise en chantier d’une série télévisée Watchmen faisant suite à l’histoire du comics, il semblait normal de
présenter quelques réserves : à quoi bon ? cela en vaut-il le
risque ? et surtout : sur quoi ?
Il est nécessaire de mesurer Watchmen la série, qui s’aborde à juste
titre comme un projet-double : la suite du roman graphique original (et
non du film, dont la fin n’est pas la même – et c’est très important), et le
premier projet de Lindelof depuis l’immense succès critique de The Leftovers, dont il apparaît comme
une très évidente variation stylistique, thématique et philosophique. Située
trente ans après l’action originale de Watchmen,
il s’agit également d’une mini-série (ou en tout cas pour le moment) – et c’est
d’autant plus intéressant de le noter que Watchmen
2019 n’en a ni le rythme, ni l’apparence, ce qui en fait une source
évidente de frustration pendant au moins la moitié des épisodes : quand
est-ce que tout cela va décoller ?
Le pari, fou, illusoire, finit
par se matérialiser. Un rebondissement après l’autre, le scénario se révèle –
ce qui n’en avait aucun est désormais porteur de tout le sens du monde, et
chaque articulation mineure (et parfois opaque) de l’incompréhensible début de
saison se transforme en une évidence. L’évidence, d’abord, que rien ne se termine jamais ;
l’évidence, aussi, qu’il n’y a plus de maintenant, plus d’hier, plus de demain.
Oublions les thématiques de l’œuvre originale – Watchmen 2019 n’a jamais pour ambition de les calquer, ou de les
actualiser (comme le fit le film de Snyder). Pendant un moment on s’imagine que
tout ceci n’est qu’une question de race, de différences, d’une Amérique
contemporaine gangrenée par ses cicatrices centenaires – et ça l’est. Mais ce
que Lindelof désire avant tout, c’est raconter une historie d’amour, une
histoire de sacrifice, une histoire de famille. Et c’est là où il excelle le
plus : agiter devant nous quelconque morceau de morale politique pour nous
surprendre par l’inventivité et la maestria de son cyclone émotionnel. Les
vertiges existentiels passés, les révélations migraineuses oubliés, on se
retrouve face à la beauté pure, simple, d’un amour comme une évidence, d’un
héritage comme un point d’interrogation, et de multiples nœuds, tous issus
d’une même question, d’une même inconnue, aussi vieille que la science :
qui est venu le premier, l’œuf ou la poule ?
Lindelof fabrique des allégories
en chaîne, travaillant autant des sujets de religion, d’existentialisme,
d’humanisme – il fait de la conjoncture américaine actuelle (pourtant pilier
centrale du comics) une longue et absurde farce. Sans pour autant abandonner le
roman sociétal des premiers épisodes, il en efface les enjeux pour mieux en
relever le burlesque – celui de ses méchants de James Bond, de ses trappes
cachées et de ses complots dont – au final – on se fout royalement.
Il sera d’autant plus compliqué
de donner une saison deux à Watchmen
que sa logique semble graviter autour d’un vase-clos symbolique qu’on peine à voir
comment il pourrait être enfreint, sans lui faire perdre toute sa force, tous
ses mystères, toute sa musique. Mais il est vrai qu’on disait bien la même
chose de l’œuvre de Moore et Gibbons et voilà que, un peu plus de trois
décennies plus tard, on se retrouve à applaudir ce qui pourrait bien être la
série de l’année : rarement on aura vu approche de l’espace temps aussi
originale et élaborée, comme une cathédrale d’écriture dont le seul architecte,
Damon Lindelof, ne fait que confirmer qu’il est l’un des scénaristes les plus
talentueux de son époque. Et, clou du spectacle si il en est, avec comme seule
inspiration celle d’un œuf incassable, cœur secret du monde et de la vie, qu’on
se devrait de chérir et admirer avec autant de passion que la confiance que
Lindelof lui-même lui porte. Le temps comme une boucle qu’on ne peut
interrompre, comme une destinée où l’effet-papillon n’est pas tant
l’interférence d’un événement microscopique sur l’Histoire toute entière, mais
plutôt la beauté d’un instant imperceptible dont on ne saisit pas l’importance…
si l’on ne sait pas que rien ne finit jamais, que chaque moment de la vie se
saisit de tous les autres dans le même temps.
saison deux à Watchmen que sa logique semble graviter autour d’un vase-clos symbolique qu’on peine à voir comment
RépondreSupprimerLe bonheur durable est la curiosité. Et voici la compréhension https://wiflix.blue/ même du film...
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