La
première saison du Bureau des Légendes
était sortie après Charlie Hebdo – cela peut paraître lointain, car il s’en est
passé des choses en France (et ailleurs) depuis les attentats de janvier. On se
verrait presque rétrospectivement comme de pauvres innocents naïfs, qui n’avaient
pas encore pleinement conscience de l’horreur qui allait suivre, mais aussi de
la profonde contemporanéité de la création d’Éric Rochant. Cette seconde saison, elle arrive après le 13
novembre, après l’Etat d’Urgence, après les Lois Renseignements. La société
française a beaucoup changé en un an, et de manière étonnante, Le Bureau des Légendes ne change que
très peu. C’est pourtant son sujet, l’espionnage et le terrorisme, mais plutôt
que de se piéger dans une reproduction creuse et sensationnaliste de la réalité
– comme a pu le faire le cinquième acte d’Homeland
– elle a choisi de s’en tenir aux règles qu’elle s’était elle-même établie pour
son pilote : rigoureuse, subtile, réfléchie. Et c’est bien pour cela qu’on
l’admire.
Éric
Rochant est un grand scénariste, la saison 2 du Bureau des Légendes est un monument d’écriture. Chaque détail sert
un plan d’ensemble, chaque micro-événement est un fusil de Tchekhov imparable,
chose rare à la télévision. Tout semble avoir été conçu au millimètre, réglé
comme du papier à lettre, du jeu d’acteur bressonien (cette sobriété découle
grandement du cadre principal de la série) aux détours contrôlés du scénario. C’est
cette maîtrise qui fascine, car on ne peut ignorer un plan ou une ligne de
dialogue : ceux-ci pourraient avoir des répercussions dévastatrices par la
suite, qu’il s’agisse d’un combiné de téléphone ou d’une simple photo. La
formation cinématographique de Rochant prend ici tout son sens, car il faut
jouer avec le spectateur, mais pas lui mentir. Si on donne une réponse, elle
doit être logique, donner sens à ce qui l’a précédé – et dans Le Bureau des Légendes, tout est
mécanique, et pourtant si brumeux. Chaque bouleversement n’arrive pas par
hasard, on l’avait sous les yeux, et pourtant on ne l’a pas vu.
Au
centre de tout cela, Mathieu Kassovitz, impeccable et hypnotique, entouré d’acolytes
tout aussi irréprochables. Chaque acteur est choisi et dirigé avec soin, s’effaçant
derrière le charisme silencieux de leurs personnages – on en oublie ces visages
pourtant bien connus, comme Jean-Pierre Darroussin, Pauline Etienne et Léa
Drucker, au profit de ces incarnations précises et mesurées, qui se dessinent
sans qu’on ne force leurs descriptions.
On
pense plus que jamais à The Wire,
pour laquelle Rochant n’a jamais contenu son admiration et qu’il ne se prive
pas de référencer : de la place des échecs à la rigueur réaliste de chaque
situation et contexte, on y retrouve le désir de sonner juste, de ne pas
aguicher les extrêmes en cultivant une conscience politique précieuse et
indispensable à la cohérence créative de ce large tableau risqué, courageux et
ambitieux.
On
se plaint souvent du cran de retard en terme de séries du Paysage Audiovisuel
Français, et Engrenages fut pendant
des années l’étendard de la création sur celui-ci. Après un premier acte de bonne tenue, Le Bureau des Légendes surpasse
cette dernière et s’en va désormais flirter avec la crème de la télévision
anglophone : forte et intelligente, émouvante et éducative, un brillant
jeu d’échecs qui surprend, étouffe et transcende le débat. Un indispensable à
la hauteur du chef d’œuvre qu’il est devenu, qui peut non seulement se targuer
d’être la fierté du petit écran français, mais aussi tout simplement de pouvoir
évoluer au même niveau de réussite que les plus grands piliers du câble
américain actuel. A ne rater sous aucun prétexte.
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