Adapter
le très bon Animal Kingdom de l’australien
David Michôd en série télévisée, cela sonnait comme une très mauvaise idée. En
plus d’être assez obscur, son univers n’était pas nécessairement exploitable et
on pouvait raisonnablement se questionner sur l’intérêt non seulement d’un
remake, mais qui plus est sur petit écran. Le nom familier de Jonathan Lisco, ancien
scénariste de la mésestimée Southland
et de la miraculée Halt and Catch Fire,
pouvait cependant intriguer – et ce malgré son diffuseur (la très souvent
médiocre TNT).
Animal Kingdom est une réussite
inespérée. Non seulement elle est un admirable morceau de bravoure télévisuelle,
à la fois ambitieux et d’une régularité à toute épreuve, mais elle tente aussi d’occuper
la place laissée libre par la fin de séries comme Breaking Bad et Sons of
Anarchy – une saga criminelle familiale, quelque part entre l’intrigue de
la série de Gilligan, le décor de John
From Cincinatti et la forme brute de la regrettée Southland, citée plus haut. Avec subtilité, Lisco développe des
personnages forts, bâtis autour d’enjeux engageants et de relations vibrantes.
C’est là sa grande réussite – parvenir à coupler son inspiration évidente du
matériau d’origine à un cadre télévisuel forcément plus large, plus ample, plus
profond. Tout le casting de la série est excellent, et leurs personnages
respectifs excellents.
Animal Kingdom installe un rythme, une
esthétique – ces villes californiennes sont grises, désenchantées, bien loin
des filtres Instagram ; elle prend également son temps pour mieux amener
ses phases de tension. En cela, elle rappelle énormément Southland, qui possédait le même ADN visuel et narratif. On n’est
pas pour autant dans un cop show,
mais on est définitivement dans le même univers. C'est le reflet difforme de Point Break.
C’est
ce choix de l’anti-fantasme qui fonctionne et fait d’Animal Kingdom une série singulière : faire de l’hideux avec
du beau, placer le sensuel dans un contexte aride et froid, transformer les
visages d’anges en êtres monstrueux. Elle n’est pas sexy malgré ses acteurs et
actrices aux physiques de mannequins, elle est même repoussante. Parfois, un
masque bien dessiné cachera drogues, violence et instabilité – plus qu’un
simple show criminel, Animal Kingdom
est une série sur la dépression et la crise identitaire. Un thème enfoui et
souvent invisible, certes, mais transcendant chaque image, chaque plan d’une
ombre redoutable si on y prête attention. Le monde d’Animal Kingdom est noir et sans espoir.
Ce
premier acte ne fut qu’introductif – Animal
Kingdom y a posé des bases solides, prometteuses pour l’avenir. Elle est
déjà une très bonne série, fascinante et quasiment auteurisante, mais elle a les cartes en main pour devenir
excellente. Si on ne peut que regretter qu’elle soit passée sous les radars de
beaucoup, peut-être à la fois à cause de sa relative lenteur et de son
emballage pas forcément emballant, et qu’elle aura donc du mal à se construire
une fanbase forte d’ici sa prochaine
saison, les quelques curieux qui lui auront laissé une chance auront découvert
un thriller malin et atmosphérique, à mettre au même niveau que les plus
grandes réussites du câble actuel. L’une des meilleures nouveautés de l’année à
n’en pas douter.
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