Roman
culte de l’américain Lev Grossman, Les
Magiciens a bien souvent été comparé à Harry
Potter : école de magie, héros qui découvre brusquement ses pouvoirs,
il faut dire que les points communs sont bien là. Pourtant là où l’œuvre de
J.K. Rowling pouvait se destiner à un public plus jeune – ce qui ne l’empêchait
pas d’explorer en profondeur un univers et des réflexions complexes – il n’en
est rien de Les Magiciens, roman
ciblant fondamentalement de jeunes adultes tant dans ses thématiques que dans
la maturité de ses ressorts narratifs. Adaptation en série sur la chaîne Syfy,
en pleine reconstruction depuis les succès qualitatifs successifs de The Expanse et de 12 Monkeys, The Magicians
n’est peut-être pas la plus fidèle des relectures télévisuelles mais n’en oublie
cependant pas la profonde moelle philosophique de sa source.
Ce
qu’il faut absolument prendre en considération au moment de commencer The Magicians, c’est que sa lecture est
double : il y a, en surface, l’aventure, les amourettes et l’aspect High School Magical du récit ; mais
c’est son fond analytique qui donne à la série (comme au livre) toute sa
dimension allégorique. Nihiliste, pessimiste, métaphore fantasmée de la torpeur,
The Magicians est une série qui sonde
les âmes les plus hantées de la fin d’adolescence et du passage à l’âge adulte :
la dureté du monde, l’avenir encore embrumé, le sentiment de non-existence et
de façon plus large, la dépression. La série de Syfy s’intéresse en soi à des
sensations égocentriques : Quentin, son héros, n’a pas de destinée, n’a
plus de rêve autre que cette magie enfantine refoulée. Ce Quentin, il est un
alter-ego plus ou moins exagéré de chacun d’entre nous à un point précis de la
vie ; tout comme Harry Potter, d’une certaine façon, mais de manière moins
niaise et plus réaliste, plus tragique.
Quentin
est le pilier de la série. Il est le point de départ de son atmosphère
désenchantée, de ses thématiques dures et de ses expérimentations narratives –
sans lui, tout cela serait vain. Mais de par ses imperfections, ses faiblesses,
et aussi ses qualités, il transcende le visage de The Magicians, devenant le anti-héros le plus singulier de ces
récentes années de télévision, sorte de miroir américain du Shinji de Neon Genesis Evangelion – mêmes sources,
même renversement des codes scénaristiques du récit initiatique et du roman young adult, prenant à revers les
attentes du spectateur. Quentin Coldwater n’est pas un Harry Potter ou une
Katniss Everdeen, il est un être faible, déprimé, en quête identitaire, pris de
vertige face à la vie – les scénaristes, et par extension Lev Grossman, ont su
rendre à la mythologie fantastique cette signature humaine, proche de l’instable,
et les personnages principaux qu’ils ont su développer sont de véritables chefs
d’œuvres, à l’écriture incroyablement intelligente et aux ramifications
labyrinthiques.
Une
écriture accompagnée d’un travail admirable sur la direction artistique –
obscure et mystérieuse sans tomber dans l’essai sombre. Le mélange des genres
et des tons, l’ambiance étouffée du décor donne
à l’action un ornement unique. La série possède en effet son propre
rythme, sa propre mise en scène, lente, parfois presque abstraite, évitant
continuellement de tomber dans le cliché du teen
show.
C’est
le rapport qu’entretient The Magicians
à la fois avec son univers et avec les conflits intimes de son personnage qui
fait tout le sel de la série. Plus ambitieuse qu’elle n’y paraît, plus
révolutionnaire qu’on ne voudrait le penser, la dernière création de Syfy
détourne allègrement les codes qu’on lui avait étiqueté pour mieux surprendre
et torturer son public ; à l’image de ces bains de sang quasi
hebdomadaires, aux issues toujours aussi imprévisibles qu’elles semblent
routinières. The Magicians ce n’est
pas seulement des personnages incroyables, c’est aussi une atmosphère –
planante, magique et dans le même temps désenchantée, mais surtout complétement
singulière. The Magicians, au final,
c’est un peu à Charmed ce que John From Cincinatti fut à Alerte à Malibu : son versant
métaphysique et auteuriste, comme un Harry Potter sous Xanax. C’est si rare que l’on ne peut pas passer à côté.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire