Si
la première saison de Black Sails
offrait de beaux moments de télévision, elle demeurait jonchée de défauts assez
grossiers : un ventre mou assez ennuyant, des personnages secondaires
agaçants, des dialogues qui ne menaient nulle part. On attendait donc ce second
acte avec une certaine inquiétude – la série allait-elle réussir à
franchir le pas ? Agréable
surprise donc que cette nouvelle saison : plus dense, plus construite,
mieux écrite et surtout possédant un budget gonflé pour l’occasion, elle est
supérieure en tous points aux épisodes de l’an dernier. Non content de proposer
un final épique et passionnant qui accompli définitivement cette évolution
qualitative, la série pousse ses personnages plus loin, arrivant à donner une
épaisseur bienvenue à beaucoup d’entre eux. A tel point que Long John Silver
devient même le meilleur élément du show, jouissif en parvenu manipulateur dont
l’ascension promet déjà beaucoup à l’avenir. Alors
certes, Black Sails possède toujours
un rythme un peu trop lent, mais elle parvient à complexifier ses storylines et
écrire au fur et à mesure un background très intéressant pour ses têtes
d’affiches. Violente, sans pitié, elle prend même parfois des airs de Game of Thrones détendu, les effets
chocs en moins. Starz
et Michael Bay, dans leur démarche de proposer des séries historico-badass à la
frontière constante du guilty pleasure, frappent un grand coup en proposant non
seulement ce qui est sans doute la série la plus grisante de la chaîne, mais
aussi l’un des feuilletons grand spectacle les plus divertissants du moment.
Les attentes se sont en tout cas multipliées.
The Expanse est une série d’échelles. En
contrastant les lieux d’action et les paysages – vaisseaux spatiaux à Alien, planètes crasseuses néo-noir à la
Blade Runner, Terre utopique sortie
d’un fantasme – la série parvient à définir très rapidement la profonde
complexité des relations géopolitiques qu’elle tente de dépeindre, centre de
gravité de l’intrigue et des interactions entre personnages, constamment basées
sur ce point de référence. Tout l’univers de The Expanse s’explique par ces subtiles ramifications qu’il
convient d’assimiler rapidement si l’on veut pouvoir interpréter correctement
les liens invisibles qui rythment les échanges, les dialogues, et même les
rebondissements de cette première saison. Là où ce genre de détails saute plus
facilement aux yeux à la lecture d’un livre, le travail des scénaristes était
ici de les exposer le plus intelligemment possible, sans tomber dans le
didactisme facile. Derrière
les voyages intergalactiques, un propos social – l’éternel axe de la lutte des
classes, et au passage une réflexion plutôt enthousiasmante et courageuse sur
le terrorisme. Les parallèles avec le monde moderne ne sont pas difficiles à
tracer, The Expanse les assume et
pousse la réflexion plus loin. L’opium du peuple, les guerres fratricides
absurdes, la propagande, le bias des médias et les paradoxes des causes
politiques – avec, en fond de ces querelles infantiles, une menace silencieuse
plus forte que tous : une manière détournée d’évoquer le réchauffement
climatique ? Un
boulot d’écriture qui se retrouve aussi dans celui d’adaptation. Si cette
première saison ne recouvre pas l’entièreté du premier livre, elle aura
néanmoins su faire ressortir une structure intelligente d’une construction originellement
saccadée. Les quelques changements ne trahissent pas la base, et The Expanse offre une telle lisibilité
de propos qu’elle en justifie par la même occasion la nécessité de ce transfert
sur petit écran. Comme
une véritable crise politique, The Expanse
est épique, violente, infernale et imprévisible. Syfy frappe un grand coup,
chamboulant en une saison tous les codes de la série de hard science. On aurait pu attendre que cette micro-révolution
télévisuelle nous vienne d’une grosse chaîne, d’un HBO ou d’un Netflix ; mais
c’est des cartons des producteurs de Z
Nation et de Helix qu’elle est sortie.
En prenant pour la première fois depuis dix ans leur sujet au sérieux, en y
mettant les moyens et en se basant sur un matériel qui ne demandait qu’à être transcendé,
Syfy vient de nous pondre un grand moment de télévision. C’est désormais
fébrile que l’on s’impatiente du prochain chapitre de cette nouvelle grande
fresque SF que l’on attendait tous.
Dans
une lente exposition, Bloodline prend
le temps de nous présenter ses personnages, ses enjeux, son contexte. C’est
sans surprise que l’on retrouve un procédé déjà fortement présent dans Damages, avec des retours et des
avancées incessantes dans la timeline, brouillant repères et temporalité,
abusant de flashbacks, de flashforwards et surtout d’ellipses. Car dans une
narration qui laisse une forte place aux mystères et affres du passé, Bloodline joue énormément sur le non-dit
et le supposé, soulignant la forte ambiguïté du récit et les contours flous de
ses personnages – effaçant ainsi tout manichéisme. C’est la logique et la
cohérence de cette brillante construction qui pose une ambiance si
particulière : Bloodline est une
série sur le secret, et cela se ressent complètement dans la forme, subtile et
pourtant loin d’être discrète. Là
où Bloodline fascine donc encore
plus, c’est dans sa mise en scène. Entre des plans recherchés comme on en voit
trop rarement à la télévision et une photographie à tomber de beauté – toutes
les scènes nocturnes sont hallucinantes – Bloodline
est une série techniquement exemplaire. Il n’y a presque aucune fausse note,
car bien au-delà de l’ambition visuelle admirable du show, l’ensemble est d’une
grande maîtrise qui, même au cinéma, serait déjà bien au-dessus de la moyenne. Famille
et cicatrices de l’enfance sont au cœur de Bloodline.
Chaque événement, chaque scène, semblent mener jusqu’aux trois derniers
épisodes magistraux, d’ors et déjà l’un des plus grands arcs scénaristiques de
l’année. Tragédie psychologique aux accents de thriller, de polar et de drame
familial, la nouvelle production Netflix est une belle claque qui, si elle ne
déborde pas nécessairement d’originalité, aura su nous proposer l’une des
œuvres les plus maîtrisées des derniers années, parvenant à surprendre, à
émouvoir, et à distiller un suspense délicat, certes exigeant, mais non moins
tétanisant. Il y a bien quelques défauts et autres intrigues moins
intéressantes, mais en ciblant un public plus réfléchi, Bloodline se classe comme l’une des nouveautés les plus
prometteuses de 2015, préparant un envisageable futur chef d’œuvre. Les
ressources et les preuves sont là, il n’y a plus qu’à passer le cap du second
acte.
Qu’il
s’agisse de l’univers visuel ou scénaristique, de l’écriture ou du souci
incroyable du détail, la création de Spotnitz est un travail d’orfèvre,
peut-être l’une des productions télévisuelles les plus travaillées de la
décennie, et sans aucun doute une anomalie totale dans le paysage actuel du
petit écran américain.
The Man in the
High Castle est une série pour ceux qui aiment attendre, ceux qui préfèrent
la description à l’action, et c’est pour cela qu’elle est l’une des créations
originales de services de VOD ayant le mieux exploité son format de diffusion
destiné au fameux
binge-watching :
avec son rythme lent, ses références parfois exigeantes et son obsession pour
l’allégorie, la nouvelle sortie d’Amazon n’est définitivement pas faite pour
tout le monde. Les
passionnés d’histoire pourront passer des heures à rechercher tous les
easter eggs plus ou moins amusants
cachés ici et là, au détour d’un plan ou dans le fond du cadre, mais aussi à
noter toutes les métaphores historiques plus ou moins évidentes, de
l’assassinat de Kennedy jusqu’au colonialisme américain :
The Man in the High Castle est un trésor
pour tout passionné du XXème siècle, la direction artistique fine et peu
encombrante stimulant sans cesse le récit d’une profondeur globale, d’une
logique propre qui rend passionnante l’évolution des différents personnages et
du monde qui les entoure. Cet univers est une figure à part entière du show.
The Man in the High Castle n’est pas une
simple uchronie. En évoquant une réalité alternative, Spotnitz ne prend pas le
même chemin que Philip K. Dick. Au-delà de la fresque se cache une analyse
rugueuse et pertinente du Monde post-45, des incohérences des discours
américains et soviétiques et de la ligne floue qui sépare les régimes
politiques ; en soi, un message que l’on peut aussi appliquer à nos
sociétés contemporaines, et c’est ce qui fait toute sa viabilité. Les
parallèles que l’on peut faire entre notre réalité et l’univers de la série ne
sont pas vide de sens, leur intérêt étant proche de l’allégorie pure et simple.
Ce n’est pas la seule idée qui imprègne
The
Man in the High Castle, traversée de la même façon par les questions du
pouvoir, du destin de l’humanité, de la dictature, de la morale. Il y a
beaucoup à retirer des réflexions de l’œuvre puisque les réponses qu’elle donne
ne sont pas définitives, elles s’achèvent très souvent sur une nouvelle
question. Peut-on réellement faire le bien ? Peut-on le faire avec une
bombe atomique ? Peut-on le faire en tuant un homme ? Peut-on le
faire en suivant ses propres valeurs ?
The Man in the High Castle est une série
non sans défauts, toutes ses intrigues ne se valent pas et on regrettera les
héros de celles-ci ne soient pas tous au niveau des trois ou quatre
fantastiques personnages qui la transcendent complètement. Direction artistique
travaillée, intelligence du propos et univers proprement fascinant, rien ne se
compare vraiment à la nouvelle création d’Amazon, sans doute sa plus accomplie
à ce jour, et dont on attend avec une impatience non camouflée le
renouvellement. Brillant, subtil, hypnotique : la lenteur en achèvera
certains, les autres peuvent s’y lancer les yeux fermés.
Phénomène
de la sphère otaku d’abord publié sur internet avant de trouver sa voie en
version papier, One-Punch Man était
l’un des mangas dont l’adaptation en animé était la plus demandée. Lors de son
annonce, c’est le soulagement : c’est le studio Madhouse, probablement
l’un des labels qualitatifs les plus prestigieux de la japanime, et l’animateur
Shingo Natsume, ayant travaillé entre autres sur Full Metal Alchemist : Brotherhood et Space Dandy, qui s’en occuperont. Aucune
surprise donc, une fois devant le produit fini, de découvrir une animation de
ce niveau. One-Punch Man est un
plaisir à regarder ; énergique, dynamique, variant magnifiquement les
styles d’animation, parvenant à s’inventer une forme d’humour visuel d’une
inventivité sans cesse renouvelée. Difficile de renier le fait que le résultat
est techniquement impeccable, probablement l’un des plus réussis de ces
dernières années. Mais
pour supporter sa maestria graphique, faudrait-il encore avoir un fond un
minimum engageant. En respectant fidèlement le manga, et en se permettant à
l’occasion quelques modifications bienvenues, One-Punch Man en récupère les grandes qualités. Drôle, malin, plus
profond qu’il n’y paraît quand il s’exerce, au-delà de la parodie de shonen, à
la satire sociale, l’animé est un rendez-vous électrique ; qui à défaut de
réellement surprendre, s’engage dans un registre excentrique à la croisée de Gintama et de Kick-Ass pour au final parler à merveille non seulement du genre
auquel il rend un hommage insolent, mais aussi évoquer la question de
l’héroïsme ordinaire, de sa négligence et du mécanisme de la routine. La
dramaturgie sarcastique et le développement inexistant des personnages devra
sans doute s’aliéner une partie de son public potentiel. Mais derrière son
rictus, One-Punch Man est une série
d’une générosité sans limites : combats mis en scène à la perfection,
récit rythmé et inventivité de chaque seconde. On ne s’ennuie pas un seul
instant si on adhère à l’hystérie bien japonisante de la dernière réalisation
de Madhouse. Pour l'apprécier à son maximum,
il est préférable d’être un minimum initié – en se moquant ouvertement de Dragon Ball, One Piece et de bien autres maîtres étalons du standard shonen, la
cible de ses vannes est clairement définie. Mais au-delà de ce relatif
ésotérisme comique, difficile de faire la fine bouche devant un tel concentré
infiniment ludique. À déguster sans modération.
The Knick repousse des limites – elle n’en
a, à vrai dire, aucune. Portée par un état de grâce quasi-constant depuis son
pilote, elle se plonge chaque semaine, pendant une heure, dans un univers situé
quelque part entre le drame au réalisme troublant, le thriller aux effets
anachroniques et l’œuvre d’art moderne à la construction parfois proche de l’expérimentation
pure. Rares sont les séries qui tentent vraiment
quelque chose, s’essayant à la fois à poser les bases d’une forme inventive,
mais aussi à continuer de l’explorer au fur et à mesure que les épisodes
passent. C’est
bien pour cela que The Knick est
imparfaite. A tout tenter, elle ne peut tout réussir – mais sans ces tares,
elle ne pourrait revêtir cette ambition hallucinante dont elle fait preuve. Si
la première saison s’était enfermée dans une forme parfois castratrice, ce
second acte ne connaît pas de barrières. The
Knick ne ressemble à rien de connu, et c’est là sa plus grande qualité – c’est
en cela qu’elle est importante et qu’on pourrait presque parler, avec toutes
les précautions que ce titre impose, d’un chef d’œuvre.
Cette
année, Game of Thrones s’est vu
affronter de nombreux obstacles : les fuites à répétition des épisodes ou
des événements marquants du prochain épisode, sa popularité toujours plus
grandissante qui a vu, fatalement, l’émergence d’un bashing gratuit et souvent
injustifié, mais aussi le rattrapage inévitable des livres de George R.R.
Martin, que les scénaristes ont tenté de contrer en poursuivant un virage opéré
depuis désormais plusieurs années : celui de s’éloigner graduellement des
livres. Et autant le dire tout de suite : à part deux ou trois arcs
scénaristiques, cette année, Game of
Thrones et A Song of Ice and Fire
ont définitivement pris des chemins différents. En
se détachant des livres, les scénaristes de Game
of Thrones ont dû improviser. Plus de Papa Martin pour superviser David
Benioff et D.B. Weiss dans l’écriture des épisodes, il sera désormais
nécessaire d’écrire des histoires crédibles en conservant la profondeur et la
logique des dialogues et des personnages présents dans le livre. Chose
moyennement acquise au terme de cette cinquième saison, il faut l’avouer. Game of Thrones est moins bavarde, et
c’est dommage, car à vouloir contenter la masse populaire en leur proposant des
scènes d’action et des intrigues
évoluant rapidement, c’est la subtilité de la série qui s’est légèrement
estompée. Oui, contrairement à ce qu’en disent beaucoup, Game of Thrones va très vite en 2015, il se passe beaucoup de
choses. Beaucoup trop, et sans prendre le temps de les amener correctement,
diminuant l’impression d’importance des retournements et des choix des
protagonistes. Cela a abouti à des décisions scénaristiques, non présentes dans
les livres, plutôt improbables. Des rencontres, notamment, maladroites
tentatives de fanservice. La
qualité d’écriture a commencé à s’évaporer, c’est une évidence. Quelques
épisodes (le cinquième et le dernier) démontrent que l’ombre de Martin plane
encore sur le show, mais impossible d’oublier ces grossières erreurs parsemées
ici et là. Dit comme ça, on pourrait penser que Game of Thrones saison 5 est un raté : c’est en réalité
simplement le coup de mou (sublimé par quelques scènes incroyables) d’une
grande série. La qualité presque irréprochable du casting – si l’on oublie un
instant Emilia Clarke – l’intensité de certaines scènes en tant que broyeurs émotionnels
incroyables, fatals, tragiques, sans aucune issue possible. L’univers de
Westeros est un monde de bêtes humaines, aussi complexes qu’elles peuvent
commettre les pires atrocités ou les plus grosses erreurs. Même les soi-disant
héros (érigés comme tels par des personnes n’ayant pas compris le plus profond
message de la série) sont faillibles. Même les reines conquérantes sont de
piètre dirigeantes. Même les méchants parfaits sont parfois plus ambigus qu’on
ne voudrait le penser. Il y
a cette ambition visuelle de chaque instant. Ce budget gigantesque qui permet à
la série de servir des décors plastiquement parfaits et des scènes d’actions
enthousiasmantes. Une maestria technique sous tous les aspects : de la
mise en scène intelligente même si elle a tendance à être de plus en plus
démonstrative, une bande-originale toujours aussi admirable et une précision
scénographique qui est un modèle du genre. Game of Thrones est prisonnière de sa
popularité. Déjà parce qu’il est devenu cool de cracher dessus pour des raisons
obscures, mais aussi parce que ces mêmes personnes – si elles ne s’en rendent
pas compte – risque de signer l’arrêt de mort de la série. Bien sûr que cette
saison 5 a des défauts, mais ce sont des failles issues des remarques faites
aux grandes qualités des saisons précédentes. Le serpent se mord la queue et le
seul espoir c’est que les scénaristes décideront enfin d’ignorer les plaintes
d’un public non initié, que seuls les rebondissements et scènes de combats
contentent. Sauf que Game of Thrones
ce ne sont pas des morts, des viols et des batailles. Game of Thrones ce sont des individus perdus dans l’immensité de
guerres qui les dépassent. Intimiste, réaliste et désenchantée. Tragédie
sur la religion et sur la difficulté des responsabilités, cette saison 5 de Game of Thrones aura reçu de nombreuses
critiques imméritées. La série s’est trouvé un rythme de croisière, et il est
clair qu’en réécrivant les livres de Martin à leur sauce, le duo de showrunners
a fait l’erreur de recentrer les personnages autour de quelques intrigues pas
forcement égales en qualité. A trop vouloir réunir les arcs, ils ont fini par
perdre cet esprit choral qui faisait tout le charme des précédentes saisons. En
espérant que ce ne soit que passager, et même si l’émerveillement s’est
atténué, le plaisir est toujours intact.
Si
les formats courts HBO qui, dans un premier temps, sont de vraies comédies et
qui, dans un second temps, font vraiment rire, sont une denrée de plus en plus
rare, on peut déceler une certaine constante à partir des quelques œuvres qui
réussissent ces deux tests : le plus souvent, ce sont des séries à
l’humour bien vulgaire, proposant un message ou une satire en filigrane d’une
finesse inattendue. Si la première saison de Silicon Valley était déjà une réussite indéniable, on attendait son
second acte avec une impatience non camouflée : cette année, il fallait
aller encore plus loin. Et Silicon Valley a fait exactement ce
qu’on attendait d’elle. Ce qui est fascinant à son propos, en dehors de ses
situations hilarantes, c’est son intelligence assez inédite. Car Silicon Valley ce n’est pas un show
superficiel sur un groupe de geeks asociaux comme ont pu le faire The Big Bang Theory et The It Crowd, loin de là : en
s’inscrivant dans une logique économique purement contemporaine (essor des
start-ups, influence des géants du web, monde parallèle de Palo Alto…) avant d’écrire
des situations, Silicon Valley est
une série qui parle de son époque, de ses acteurs, et ceci avec une subtilité
délectable. C’est parfois un simple détail, une petite référence – comme cela
est fait dans l’excellent écran-titre – ou même une scène toute entière à la
limite de la parodie. C’est là qu’elle se démarque d’Entourage à laquelle on l’a souvent comparée – plus incisive, moins
complaisante, moins fantasmée. Dans Entourage,
les personnages étaient des idiots (involontaires) sympathiques, dans Silicon Valley, quand ils ne sont pas
des sociopathes manipulateurs, ce sont des abrutis finis. On
se croirait parfois dans South Park,
sauf que contrairement à la célèbre série animée, Silicon Valley construit une continuité et par extension une
certaine forme d’attachement à ses individualités, desquelles respirent une
forme d’humanité. Le génie de cette saison 2, c’est d’avoir su plus que jamais
allier différents niveaux de finesse dans son humour, d’avoir su approfondir
ses thématiques sans qu’elles n’envahissent la narration. C’est
à ça que l’on reconnaît les grandes séries, cette capacité d’allier plusieurs
objectifs – ici la réflexion et le pur divertissement – sans qu’ils interfèrent
entre eux. Tout simplement une leçon d’écriture, l’une des séries les plus
drôles en diffusion, portée par un casting dévastateur. Un indispensable.
Diffusée
dans un relatif anonymat malgré qu’elle réunisse des guests stars de choix
(Cuba Gooding Jr., Ben Stiller, Michael Madsen, Paz Vega ou encore Jason
Alexander), Big Time se démarque dès
le départ par son absence totale de tabous dans l’humour qu’elle utilise. On
pense rapidement à It’s Always Sunny in
Philadelphia, évidemment, avec ses protagonistes inconscients qui
entraînent les pires catastrophes pouvant arriver à leur entourage, mais aussi
à The Wrong Mans, pour cet aspect
comédie d’aventures où de pauvres types sont confrontés au « monde des grands ». Les scénaristes
partent dans tous les sens, s’amusant autant à parodier allègrement la
production cinématographique américaine au travers de films suédés délirants au
possible, qu’à jouer à merveille la carte de l’autodérision, par le biais –
entre autres – d’un Cuba Gooding Jr. complètement possédé, dont la performance
mérite à elle seule qu’on laisse une chance à Big Time. Oui,
c’est lourd, définitivement con et débile, avec des blagues scabreuses quand
elles ne sont pas insultantes. Mais voilà, en ne s’imposant aucune frontière,
tant morale que narrative, Big Time
se construit une identité, une singularité dans le paysage audiovisuel
américain qui lui permet de rejoindre Always
Sunny et Shameless au panthéon
des comédies légèrement transgressives dont la nature même est à la fois la
source de leur réussite et de la division qu’elles créent. Car Big Time c’est définitivement de très mauvais
goût, mais du mauvais goût magnifique, jouissif et généreux, qui donne au
spectateur le summum de ce qu’il est en droit d’attendre de ce type de
production bête et méchante, absurde, brute, mais foncièrement sympathique sur
le fond comme sur la forme. La
comédie américaine dans ce qu’elle peut avoir de plus régressif, mais en même
temps de plus novateur. Big Time est
une excellente surprise dont la douce bêtise des scénaristes se retrouve mise
en avant par un casting survolté et une inventivité formelle plus que
bienvenue. Un plaisir coupable ? Pas vraiment, parce que derrière cette
façade vulgaire se cache une intelligence du dialogue digne des plus grands.
Déjà culte.
The Last Kingdom est un long feuilleton
à l’ancienne, mais avec ce ton moderne qui fait toute sa puissance. Cette
sauvagerie inaudible, ce monde ambigu et ces conceptions qui s’affrontent dans
un violent choc des civilisations. Tout autant que sa fluidité, ce sont ses
personnages qui rendent la série si passionnante à suivre. D’aucuns diront que
beaucoup sont des stéréotypes, du personnage principal valeureux et invincible
jusqu’au comic relief alcoolique, en passant par la bromance sympa et le
vicieux seigneur qui ne sait pas se battre – mais c’est en mettant ces clichés
à l’épreuve de leur moralité que la série devient brillante, c’est en les
supprimant du casting si brutalement, si sèchement qu’elle fait violence au
spectateur. Car malgré leurs traits très connus, toutes ces figures possèdent
un charisme incroyable, et les acteurs n’y sont pas pour rien. On pourra
parfois s’interroger devant la superficialité de certains personnages secondaires,
mais on pardonne rapidement à la série tant ces repères codifiés permettent une
identification plus rapide, facilitant ainsi l’avancement de la folle narration
de cette saison. L’aspect
visuel, les compositions techniques et tout ce qui concerne la mise en scène du
show sont une véritable réussite. Rien de remarquable, mais en s’inscrivant au
vrai cœur de l’action – avec une certaine avarice des grands effets
démonstratifs – au bout du compte, The
Last Kingdom est une très belle série à regarder. Jamais son budget
(probablement faible) ne se ressent à l’écran, jamais elle ne semble violer les
limites de ses capacités face à son ambition. The Last Kingdom n’est pas une
révolution, mais elle arrive au bon moment. Alors que beaucoup se plaignent du
temps que Game of Thrones prend pour
construire son univers, ses intrigues et ses personnages (et pour sa défense,
elle le fait très bien), The Last Kingdom
s’en détourne complètement. Tout ce que veut faire la dernière œuvre de la BBC
America, c’est conter une simple histoire, sans détour ni complexité, sans
enrobage ni surprises. On ne l’attendait pas sur ce terrain, mais il s’agit
peut-être de la dernière grande série d’aventure, généreuse, passionnante,
stimulante, épique et d’une lisibilité sans pareil. Même si derrière cette histoire
qui semble toute droit sorti d’un jeu de rôle sur table ou d’un shonen
classique il n’y a pas de symbolisme fort ou de grande finalité, mais il s’y
trouve de fantastiques conteurs. L’épée à la main, chevauchant vers le soleil
avec ses fidèles compagnons pour aller secourir des princesses et sauver des
royaumes : c’est ça The Last Kingdom.
Et revenir à une telle majesté par le storytelling de narrateurs hors pairs,
c’est finalement tout ce qu’on attendait et que l’on désespérait de revoir un
jour sur le petit écran. Qui a dit Conan
le Barbare ?
Si
l’an passé Looking avait laissé une
impression plus que mitigée, aucun doute que cette deuxième saison lui est en tout
point supérieure. Dès les premiers épisodes, on sent qu’il s’est passé quelque
chose dans l’esprit de l’équipe créative : plutôt que de bêtement se
contenter de dépeindre les mœurs et les codes du microcosme homosexuel de San
Francisco, Michael Lannan donne à sa série une porte plus universelle, plus
générale, plus intelligente et qui arrive ainsi à balayer un public bien plus
large. On
passe d’une réflexion sur la vie de couple et la conception du mariage, à un
témoignage de l’acceptation d’une minorité, en passant par la crainte des MST
et les blessures du temps. Sans jamais paraître niaise ou exubérante dans ses
effets, Looking est une sublime
poésie bleutée sur le rythme du quotidien. Tout sonne juste, et c’est dans ce
cycle d’émotions incessant que Lannan parvient à renouveler notre intérêt
chaque semaine, explorant avec une sensibilité impressionnante cette tragédie
sentimentale aussi passionnante qu’attachante. Car là est aussi le cœur de
l’inattendu renouveau d’intérêt pour Looking :
ses personnages. Tous évoluent, les cicatrices se multiplient, leurs destins se
croisent et c’est sans prévenir que l’on finit par les comprendre et les
soutenir. Une cohérence remarquable écrit les pages peu à peu les pages de leur
vie fictionnelle, et ils n’en deviennent que plus humains. Mais
ce qui fait encore et toujours la grandeur de Looking c’est la qualité hallucinante de sa mise en scène – tons
bleus, ambiance océan, photographie tout en contrastes qui inscrit des plans
sublimes sur la rétine de spectateur – des cadres magnifiques et inoubliables
qui finissent par hanter le subconscient et renforcer l’identité si
particulière de la série. Elle aura beau s'achever sans fioritures lors d'un téléfilm en 2016, on ne l'oubliera jamais.
Comme
à son habitude, en prenant le point de vue d’une ville américaine, Simon parle
des Etats-Unis et plus généralement de notre société contemporaine. Deux sujets
semblent au centre de sa réflexion : la ségrégation sociale et la manœuvre
politique. Le point le plus brillant de ce traitement est que, malgré son engagement,
Simon ne s’autoproclame jamais juge des personnages qu’il décrit. Ce souci du
réalisme, de la peinture d’un échange anti-manichéen au possible, rend ces
hommes politiques, ces familles en difficulté et ces riches bourgeois bien plus
humains qu’ils ne peuvent l’être dans la plupart des tentatives américaines
actuelles de fiction sociale – American
Crime, par exemple. Plus que de s’intéresser aux conséquences du rejet et
de la peur de l’autre, comme l’a fait John Ridley, Simon se focalise sur ses causes.
C’est un terrain glissant et il faut savoir faire preuve d’une rare subtilité
pour ne pas tomber dans l’amalgame ou dans la généralisation. Simon ne fait
évidemment jamais dans la caricature – son propos est mesuré et apparait
fatalement comme plus pertinent. Show Me
A Hero n’est pas seulement une affaire de racisme, mais aussi une chronique
politique désenchantée où les mensonges sont presque raisonnables et où tout
est question d’apparence, tout aussi critique envers ses cadres qu’envers la
masse grouillante et déraisonnée, illustration terrifiante des limites de la
démocratie. David
Simon propose une lecture socio-politique passionnante, intelligente et
nécessaire. Il ne faut pourtant pas faire l’erreur de se limiter à cette vision
de l’œuvre, car Show Me A Hero est
aussi un drame intime touchant, porté par un Oscar Isaac excellent. Six
épisodes, c’est bien court, mais déjà bien assez pour cet auteur de génie pour
intégrer un raisonnement complet à une fiction terriblement attachante.
Personnages complexes sur fond de tragédie moderne, qui ressemblerait presque à
la rencontre de Zola et de Shakespeare dans la banlieue new-yorkaise. Peut-être
son œuvre la plus accessible, de par sa durée et son énergie, et pourtant
l’homme n’est pas tombé dans la facilité. On est d’autant plus impatients quand
on sait qu’il travaille actuellement sur deux nouveaux projets, l’un sur le
monde sur la finance et l’autre sur l’industrie pornographique – de quoi nous
enthousiasmer, car il n’existe aujourd’hui sans doute pas d’auteur plus
brillant à la télévision comme au cinéma.
L’an
dernier, Fargo était une série sur la
bestialité de l’être humain, sur la violente animalité qui ronge même les êtres
les plus innocents. Cette nouvelle itération n’est pas tant traversée par ces
questionnements existentiels que par la tragique peinture de l’Amérique
post-Vietnam, rongée par les fantômes de sa jeunesse traumatisée, violentée,
torturée. Le spectre d’une génération abusée par son autorité, par cette
puissance supérieure et omnisciente les utilisant comme les pions de leur grand
schéma. Dans Fargo, les aliens
remplacent les gouvernements, les mafieux sont des soldats, policiers et civils
sont les dommages collatéraux inhérents à toute guerre. Dans
le dessin de la guerre fratricide de ces victimes aux mêmes racines, la
nouvelle saison de Fargo se révèle
d’un pessimisme rare. Le rêve américain désenchanté, les traumatismes de la
guerre, à l’empreinte ineffaçable, et la profonde inhumanité d’un monde qui les
stigmatise et ne les comprends pas. Hawley fait de cette farce criminelle la
rencontre brillante d’un comique de l’absurde digne des plus grands et d’un
propos social tragique, fataliste et fondamentalement déprimant. Derrière le
visage balafré de ces gangsters plus ridicules les uns que les autres se
cachent à la fois l’ombre de l’enfer de la jungle vietnamienne transmis de
génération en génération selon la mécanique macabre du cycle de la folie de
l’homme, et les malaises d’une époque – du combat contre le cancer à la fin des
individualités : Fargo, saison 2
est finalement le portrait des failles et des blessures de celui qui aime
s’appeler le plus grand pays du monde. Mais
la plus grande réussite de la série est sans doute l’illustration de ces
propos. Par l’allégorie, bien entendu, mais aussi avec style – mise en scène
au-dessus de tout (ou presque) de ce qui peut se faire actuellement sur petit
écran, usant de gimmicks et d’effets toujours bien sentis, casting d’un niveau
admirable, inventivité constante dans l’écriture et dans la narration. Tant
d’accomplissements créatifs qui font de Fargo
un monument de la télévision contemporaine. Tous
essaient de trouver une réponse à cette question : pourquoi la
violence ? pourquoi la guerre ? Certains s’en libèrent et la laissent
se déchaîner dans une explosion de sang et de cris ; d’autres cherchent
des solutions : serait-ce une question de langage ? ou alors un
malaise identitaire ? Comme dernière note positive, Fargo semble nous dire de garder espoir. Parmi tous ces hommes,
certains ont de bonnes intentions. Le bien, s’il se cache parfois derrière le
mal, peut être une finalité. Hawley a beau être pessimiste, il n’est pas
fataliste – et c’est bien pour cela que son bébé est plus qu’une simple série,
plus qu’une simple relecture de l’univers des Coen. Il est un auteur, et Fargo est son chef d’œuvre.
Les
deux premières saisons de
The Americans
alliaient, suivant une schizophrénie qualitative frustrante, le très bon et le
médiocre. Des intrigues plus ou moins passionnantes, certaines souffrant de
faibles enjeux auxquels il était difficile de se rattacher. Après le
retournement final de l’an dernier, on était cependant en mesure d’en attendre
plus d’une des séries les plus acclamées de la télévision américaine.
Inutile
de tourner autour du pot : cette saison 3 est une franche réussite. Plus
encore, elle efface tous les défauts des précédents actes en proposant un
niveau d’écriture tout bonnement hallucinant. Une évolution qui trouve sa
source premièrement dans la mise en retrait de personnages inintéressants (même
s’ils monopolisent toujours chaque semaine quelques minutes d’épisode), mais
aussi dans la mise en place de finalités bien plus tragiques, poussant à la fois
à une certaine réflexion de la part du spectateur, mais aussi à une véritable
impatiente, tant la série a su gagner en intensité. Pour
la première fois dans
The Americans,
il y a de l’émotion. Pas du tire-larmes bête, mais des scènes de remise en
question digne des meilleures séries. C’est profond, juste, loin d’être
tape-à-l’œil, et surtout les acteurs sont incroyables – comme d’habitude, mais
cette fois avec un scénario pour soutenir leur jeu. Le niveau atteint à partir
de l’épisode 9 et ce jusqu’au season finale est un modèle, et probablement
parmi ce que la télévision américaine a produit de plus réussi cette saison.
The Americans n’est pas une simple série
d’espionnage – c’est une série identitaire, qui réfléchit sur la position de
ses protagonistes. Cette année, cette affirmation est plus que jamais avérée,
en prenant un recul énorme par rapport au statu quo qui régit la série depuis
son pilote. Admirable.
En l'espace d'un peu plus de deux années,
Hannibal a commencé, a brillé, puis s'est achevé. Au-delà de la colère de voir l'une des plus belles et plus transcendantes œuvres de la télévision moderne se terminer après seulement trois saisons, il y a aussi la déception de voir que rien n'a vraiment été fait pour la sauver.
Hannibal est une série qui, au-delà de raconter une histoire et un monde, savait expérimenter sa forme comme son fond. Ce qu'
Hannibal a proposé pendant ces presque quarante épisodes, aucune autre ne l'avait tenté avant elle : visuellement, c'est de la peinture du mouvement, philosophiquement, c'est un essai réfléchi et intelligent sur l'empreinte contemporaine de la folie et de la violence. Si la saison 1 restait cloisonnée dans des codes proches du procédural, le second acte s'envolait déjà vers quelque chose de nouveau, de plus risqué, proche de ce qui peut se faire sur le câble. Ce que la troisième et ultime saison de
Hannibal représente, c'est une étape de plus. Un nouveau pas vers une forme de télévision inconnue, nouvelle, ingénieuse. Elle a divisé, elle divisera encore longtemps, et on comprends pourquoi. Mais avoir tenté, dans ce qui est probablement l'un des chants du cygne les plus déchirants jamais réalisé sur petit écran, quelque chose d'aussi fondamentalement révolutionnaire, ça mérite un minimum de respect. Qu'un tel chef d'oeuvre nous quitte sur une note aussi novatrice et créative, cela ne fait que confirmer le bien qu'on pensait de lui. On est bien sur tristes de la voir disparaître, mais heureux que ceci ait été fait. Parfaitement imparfait.
Difficile de pouvoir encore dire grand chose de nouveau sur
Always Sunny après tant d'années. 10 ans, c'est gigantesque. Mais ce qui est encore plus admirable, c'est qu'après tout ce temps, la série de FX soit toujours aussi exemplaire. Cette dixième saison était l'une des plus drôles, chaque épisode était plus culte que le précédent. Il n'y a eu, pour ainsi dire, aucun faux pas. Qu'une comédie vieille d'une décennie vienne encore prouver son inventivité, cela témoigne d'un certain talent. Toujours aussi hilarante, un indispensable et un classique. Chapeau bas.
Le
nouvel âge d’or des séries est déjà terminé depuis plusieurs années et, alors
que la télévision s’est trouvé un rythme de croisière en produisant en grande
quantité des ersatz des succès câblés des années 2000, il est devenu de plus en
plus difficile de trouver une œuvre sortant réellement
du lot. Il y a bien des shows prestigieux qui nous occupent de septembre à août,
mais rares sont ceux qui transcendent fondamentalement leur média souche.
Regarder Mr. Robot expérimenter,
chaque semaine, un peu plus cette forme télévisuelle, c’est retrouver cette
sensation indescriptible d’être surpris par autre chose que par des
rebondissements agressifs ou par une débauche d’effets qui ne peut combler l’absence
de scénariste talentueux. A chaque nouvel épisode, Mr. Robot s’est réinventée, abandonnant ses acquis, repoussant ses
limites : on passe du polar mafieux au cyberthriller, du drame familial à
l’introspection psychiatrique, de la réflexion sociétale à la pure allégorie.
C’est sans faux pas que la série aborde avec une facilité déconcertante des
notions complexes d’informatique, de philosophie, d’économie ou de psychologie,
aussi pertinente lorsqu’elle évoque l’évidente instabilité d’un paradigme bâti
sur de l’abstrait, que lorsqu’elle s’intéresse aux blessures intimes de ses
personnages. L’écriture, tout comme la mise en scène, sont évolutives. Si Mr. Robot possède une vision d’ensemble
bien définie, chaque épisode propose un véritable fil conducteur stylistique.
La réalisation y sera plus intense ou moins ambiguë, les scènes s’enchaîneront
de telle manière pour qu’à la fin de l’épisode, de façon plus ou moins
évidente, Esmail en vienne à une conclusion, qu’il s’agisse de remettre en
question la moralité de son protagoniste, sa santé mentale, ou d’évoquer la
place de l’humain dans une société qui ne l’est pas. Elliot et le monde qu’il
combat sont étroitement liés, et c’est cette relation particulière qui les unit
qui est en réalité le fond thématique de Mr.
Robot. En apparence si opposées, leurs enjeux, leur regard, et leur
pertinence sont très proches les uns des autres. C’est
cette ambivalence qui traverse Mr. Robot.
Esmail ne fait pas de ces révolutionnaires anticapitalistes des héros, il ne
fait pas de leur cause un étendard, et même s’ils sont bien intentionnés, il ne
les présente même pas comme des bonnes personnes. Des dangers, des
inconscients, ou même des criminels, qui menacent l’équilibre d’un monde
imparfait, dont la présentation comme un nemesis machiavélique est définie dès
le départ comme un fantasme dont la réelle nature est transformée, jusqu’à son
nom, par l’esprit difficilement fiable de la figure centrale de la série. Si on
sait lire entre les lignes, Mr. Robot
n’est pas un bête pamphlet schizo-anarchiste à la Fight Club, mais une fresque politique qui pose la question de la
subjectivité. Son protagoniste n’est pas un justicier, mais un solitaire
asocial qui a recréé le monde depuis sa chambre miteuse. C’est ce talent indécent pour éviter les sentiers battus, pour prendre des codes connus à contre-courant, pour laisser une part de doute et donc de faire confiance à l’intelligence du spectateur qui fait de Mr. Robot une série si particulièrement fine, et par la même occasion si follement ambitieuse. Un immanquable.
Parfois
la réalité est encore plus inventive que la fiction. The Jinx, c’est un peu ça. Nouvelle réalisation d’Andrew Jarecki,
auteur de Capturing the Friedmans,
autre documentaire sur un fait divers criminel, The Jinx s’intéresse au milliardaire Robert Durst et aux affaires
auxquelles il a été mêlé. Il ne vaut mieux pas en savoir plus, car là est la
grande réussite de la mini-série de Jarecki : tout cela est vrai et
pourtant aucun scénariste n’aurait jamais osé écrire une histoire aussi
abracadabrante, constellée de rebondissements, de retournements de situation,
de bouleversements incompréhensibles mais répondant pourtant à une cohérence
macabre implacable. Au
travers de cette remise en question à peine camouflée du système judiciaire
américain, Jarecki dresse le portrait d’un homme. D’un homme pas comme les
autres, dérangeant, terrifiant, d’une intelligence hors normes et surtout
profondément ambiguë : Robert Durst. Les pièces du puzzle s’assemblent peu
à peu, on plonge petit à petit dans sa vie, dans celle de ses proches, et
pourtant, on ne le comprend toujours pas. Pourquoi dit-il cela ? Pourquoi
fait-il cela ? Est-il coupable ? Innocent ? Plutôt que de nous
répondre, Jarecki nous donne des pistes, et même si The Jinx invite au questionnement, impossible de trouver des
réponses. Toutes
les cordes se croisent et se superposent, des nouveaux indices viennent
s’ajouter à d’anciens, et entre coupable idéal et innocent malchanceux, on
n’arrive pas à choisir : Robert Durst demeure une énigme. Ce n’est pas
seulement génial, c’est passionnant. Construction exemplaire du récit, montée
en puissance incroyable, réflexions pertinentes sur la lutte sociale et les
limites de la justice, générique fabuleux, choix de mise en scène
admirables : The Jinx est une
réussite incroyable, un petit chef d’œuvre qui se vit autant qu’il s’apprécie.
On finit bouche bée, en-dessous de ce nuages d’incertitudes, de questions sans
réponses, et surtout avec la profonde impression d’avoir assisté à quelque
chose de grand. Quelque chose de très grand. Car en plus de résonner dans
l’actualité, The Jinx nous pose une question
cruciale : quand tous sont dans le doute, à qui peut-on bien faire
confiance ?
Des
publicitaires sirotant un whisky, une cigarette à la main, discutant dans un
bureau au cœur de New York. C’est un peu ça Mad
Men. En tout cas c’est l’image qu’elle donne. Celle d’un drame prestigieux
un peu ennuyant, sorte de reconstitution soapesque pour nostalgiques des années
Kennedy. Il est certain que la plume de Weiner est beaucoup moins palpitante
que celle de Gilligan, il est aussi évident que Mad Men est une série très exigeante. Pas dans le sens où elle
nécessite une implication forcée, quitte à mettre de côté l’hédonisme, mais
davantage parce que Mad Men est une
série qui s’apprécie comme aucune autre : en savourant le moment. C’est un
peu comme cela que Weiner l’a écrit de toute manière, en faisant comme si
chaque fin de saison était un adieu définitif à son spectateur : avec son
audience de niche et son coût budgétaire grandissant – AMC n’étant pas connue
comme étant une chaîne très dépensière – la seule chose qui semblait la
protéger de l’annulation, qui a bien failli arriver après son quatrième acte,
c’était son succès critique unanime. Weiner a bien entendu toujours su où il
voulait amener ses personnages, mais il fallait bien s’en occuper entre-temps.
Attention, Mad Men n’est pas une
série qui comble l’espace – mais une série qui le magnifie. Chaque épisode est
un régal d’écriture, sobre, limpide, refusant l’émotion facile et usant des
ellipses et des implicites comme aucune autre ne l’a fait avant elle. Mais les
scénaristes de Mad Men sont des
petits malins, car en transcendant le schéma que l’on pense attendre d’eux, ils
surprennent. Très souvent, même. De la fin du pilote à la conclusion de son
final, Mad Men est une série qui
s’aventure où on ne l’attend pas, imprévisible comme l’est le chemin parcouru
par ses personnages, finalement très terre-à-terre et suivant une logique
implacable, mais dont le destin est un long couloir obscur aux multiples
embranchements. Mais aujourd'hui, une
page se tourne. L’influence qu’a eue Mad
Men ne peut se mesurer : elle est gigantesque. Tant dans le simple
cadre télévisuel que dans la représentation qu’elle invoque. Un modèle
d’écriture, d’intelligence, de finesse, capturant l’émotion avec une tendresse
et une retenue que très peu d’autres œuvres peuvent se vanter d’user. La série
de Weiner est une œuvre complète, cohérente, vertigineuse et intimiste, dont la
perfection est à la digne mesure de sa conclusion inattendue et brillante, à
l’orée de la métaphore, dont la teneur, la division, l’ambivalence et
l’incertitude qu’elle procure l’ont déjà fait entrer dans la légende. Presque
comme un carrousel dont on ne profiterait que d’un tour trop bref. Un chef
d’œuvre s’en va, et l’on pourrait simplement conclure qu’en dépeignant une
époque depuis longtemps révolue, Weiner en a profondément marqué une autre.
Inoubliable.
C’est
sur une nouvelle musique que s’ouvre la reprise de la création de Lindelof. Des
silhouettes découpées dans des scènes du quotidien ; des nuages de
poussière et de fines gouttelettes recouvrant ces formes fantomatiques sur un
doux son de country folk nous rappelant de les oublier une fois pour toute. On
est bien loin des fresques michelangelesques de l’an dernier ; même le
cadre semble s’évaporer pour un autre, laissant tomber les périphéries
new-yorkaises pour successivement s’envoler pour la Préhistoire et pour le
Texas. Dans
les esprits de tous les personnages, un 14 octobre. Il pourrait s’agir d’un 13
novembre, d’un 11 septembre ou d’un Vol Oceanic 815. Nul ne doute qu’une
actualité plus ou moins lointaine se trouvait dans la tête des scénaristes de The Leftovers lors de son
écriture ; mais il ne faudrait pas en oublier la profonde universalité. Pourquoi eux et pas moi ? Où sont-ils
tous partis ? Il ne faut pas chercher une réponse définitive aux
questions en apparence narratives que pose Lindelof et son équipe ; car
elles n’en sont justement pas. The
Leftovers est un travail sur l’allégorie, une réflexion en miroir sur le
deuil, sur la mort, sur la tragédie et sur la fissure institutionnelle. Derrière
tous ces regards se cachent des blessures intimes ineffaçables, chacun les
soignant à sa manière, par le déni, par le souvenir, par la folie, ou tout
simplement par un miracle. Ce n’est pas dans l’esprit de The Leftovers de leur donner un sens ou de les juger, la série ne
fait que les explorer. Tout passe par le geste, dans cette composition d’une
ambition rarement vue sur petit écran. La métaphore se croise à l’illusion, le
rêve aux visions de cauchemars, la fin du monde à la rédemption : tantôt
bouleversante, tantôt ironique, tantôt indescriptible, The Leftovers est surtout une série qui ose, qui – dans son art de
l’introspection – plonge au cœur même des formes physiques des thématiques qui
la hante. Certains
espèreront trouver une logique dans l’univers meurtri de Miracle, Texas. La
seule logique qui s’y trouve, elle est pourtant très simple, c’est celle du
chaos. Ils étaient là, ils ne le sont plus – pourquoi ? comment ?
où ? Ils sont beaucoup à s’être posé ces questions au fil des siècles et
des millénaires, plusieurs disent y avoir trouvé une réponse. Ils sont au
paradis, ils sont en enfer, ils ont rejoint les étoiles ou attendent patiemment
les autres sur une île lointaine ou dans un hôtel luxueux – qu’importe au
final, car les vivants, eux, n’ont pas bougé. Et ils n’en savent pas plus que
vous. Ce
qui fait de The Leftovers un chef
d’œuvre absolu de la télévision, ce n’est pas tellement l’intelligence de son
propos, sa portée intemporelle, la qualité vertigineuse de son casting, de sa
bande-originale ou de sa mise en scène, mais sa manière d’articuler si
magnifiquement les cartes qu’elle a en main. Damon Lindelof a compris que le
monde qu’il décrit, comme celui dans lequel il vit, n’a pas de sens – comment
lui en donner un, sans trahir son injustice ? Avec un peu d’imagination,
un talent de scénariste peu commun et une famille américaine à laquelle chacun
peut s’identifier, tout est possible. The
Leftovers n’est pas tant une série sur la fin du monde que sur le murmure
d’apocalypse qui traverse les pensées tourmentées des survivants. Les 14
octobre sont quotidiens, personne n’y échappera ; même pas moi, même pas
eux, même pas vous.
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