The Expanse, avant d’être une série
télévisée, c’est une saga de livres des romanciers américains Daniel Abraham et
Ty Frank, toujours en cours d’écriture, et qui a souvent été décrite comme un Le Trône de Fer dans l’espace. On n’est
pas loin de l’abus de langage, dans le sens qu’en-dehors de l’utilisation de plusieurs
personnages dits « points-de-vue » (changeant à chaque chapitre), d’une
menace surnaturelle comme élément déclencheur de l’intrigue et d’une certaine
densité politique sur fond de lutte de pouvoir et de conflits globaux, les deux
œuvres n’ont que peu en commun. The
Expanse n’est donc pas tant un Game
of Thrones version space opera qu’un récit d’anticipation épique et imprévisible ;
une communication un peu trompeuse qui pourrait perdre les plus crédules :
les ambitions sont différentes, la forme l’est aussi, les personnages n’ont
rien en commun. Si on peut par contre lancer une affirmation choc sur The Expanse, c’est qu’elle est la
meilleure série de la chaîne Syfy depuis la fin de Battlestar Galatica.
The Expanse est une série d’échelles. En
contrastant les lieux d’action et les paysages – vaisseaux spatiaux à Alien, planètes crasseuses néo-noir à la
Blade Runner, Terre utopique sortie d’un
fantasme – la série parvient à définir très rapidement la profonde complexité
des relations géopolitiques qu’elle tente de dépeindre, centre de gravité de l’intrigue
et des interactions entre personnages, constamment basées sur ce point de
référence. Tout l’univers de The Expanse
s’explique par ces subtiles ramifications qu’il convient d’assimiler rapidement
si l’on veut pouvoir interpréter correctement les liens invisibles qui rythment
les échanges, les dialogues, et même les rebondissements de cette première
saison. Là où ce genre de détails saute plus facilement aux yeux à la lecture d’un
livre, le travail des scénaristes était ici de les exposer le plus intelligemment
possible, sans tomber dans le didactisme facile.
Derrière
les voyages intergalactiques, un propos social – l’éternel axe de la lutte des
classes, et au passage une réflexion plutôt enthousiasmante et courageuse sur
le terrorisme. Les parallèles avec le monde moderne ne sont pas difficiles à
tracer, The Expanse les assume et
pousse la réflexion plus loin. L’opium du peuple, les guerres fratricides
absurdes, la propagande, le bias des médias et les paradoxes des causes
politiques – avec, en fond de ces querelles infantiles, une menace silencieuse plus
forte que tous : une manière détournée d’évoquer le réchauffement
climatique ?
Un boulot
d’écriture qui se retrouve aussi dans celui d’adaptation. Si cette première
saison ne recouvre pas l’entièreté du premier livre, elle aura néanmoins su
faire ressortir une structure intelligente d’une construction originellement saccadée.
Les quelques changements ne trahissent pas la base, et The Expanse offre une telle lisibilité de propos qu’elle en
justifie par la même occasion la nécessité de ce transfert sur petit écran.
Mais
tout ça n’aurait pas eu de sens si Syfy n’avait pas cassé sa tirelire pour les
effets spéciaux. La production value
est exemplaire : les décors sont superbes dans leur ambiance
claustrophobe, les costumes et les visuels irréprochables pour la chaîne. Car The Expanse est une série très belle à
regarder, mise en scène proprement et ne tombant jamais dans le cheap ; ayant en plus le souci du détail artistique, comme l’importance de la langue, témoignage de la grande perspicacité des choix créatifs.
Comme
une véritable crise politique,
The
Expanse est épique, violente, infernale et imprévisible. Syfy frappe un
grand coup, chamboulant en une saison tous les codes de la série de
hard science. On aurait pu attendre que
cette micro-révolution télévisuelle nous vienne d’une grosse chaîne, d’un HBO
ou d’un Netflix ; mais c’est des cartons des producteurs de
Z Nation et de
Helix qu’elle est sortie. En prenant pour la première fois depuis
dix ans leur sujet au sérieux, en y mettant les moyens et en se basant sur un
matériel qui ne demandait qu’à être transcendé, Syfy vient de nous pondre un
grand moment de télévision. C’est désormais fébrile que l’on s’impatiente du
prochain chapitre de cette nouvelle grande fresque SF que l’on attendait tous.
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