Mon Top 30 des films de 2019

Mon Top 30 des films de 2019

Fin d'une année, fin d'une décennie. Retour en images, en textes, en sensations et en émotions sur la cuvée cinéma 2019. D'Hamaguchi à Eggers, en passant par Gray et Llinas. Lire plus

Les Misérables

Les Misérables

Vrai-faux La Haine 2019, ce film de son époque est aussi un essai éminement philosophique sur un sujet sociétal majeur : le pouvoir d'une image et ses conséquences. Lire plus

The Irishman

The Irishman

Des gangsters, De Niro, Pesci, Pacino, une durée gargantuesque et un budget encore plus énorme : The Irishman avait des airs de film ultime pour Scorsese - où est-il justement un peu plus que ça ? Lire plus

The Lighthouse

The Lighthouse

Tour de force technique avant tout, The Lighthouse avait sû générer de forces attentes : le buzz passé, le résultat vaut-il un peu plus que le tour de passe-passe égocentrique ? Lire Plus

mercredi 6 janvier 2016

Top 30 des meilleurs films de 2015


Il s'est passé des choses pas très amusantes en 2015 – je n'aime pas faire de politique, donc on se contentera de mentionner le Aladin de Kev Adams, qui serait pour le coup un bon point en faveur de la censure. Cependant, l'exercice de fermer les yeux et de se remémorer l'année échue est toujours un bon moyen pour dresser un bilan. Alors, ce Star Wars ? Et ce Mad Max ? Et ce Jurassic Park 4 ? Et ce Terminator ? Nul besoin de dresser plus encore la liste, 2015 fut une année de suites, de reboots et de remakes, sorte de point culminant de l'Hollywood moderne qui, dans sa recherche infatigable de dollars supplémentaires, s'est rendu compte que si il y a bien une corde qui fonctionne auprès du public en ce moment, c'est celle de la nostalgie. Faut-il vraiment leur en vouloir ? A chaque annonce d'un nouveau projet de remake, beaucoup s'insurgent, mais ils seront les premiers dans la salle : on avait tous (au fond de nous) envie de revoir des combats au sabre laser et des dinosaures dans un parc d'attraction. La question était donc de savoir si ces comebacks, handicapant fondamentalement l'émergence d'un cinéma plus ambitieux au rang des gros budgets américains, allait s'opérer avec des bons films ou avec des bouses irrespirables. Un peu des deux en fait. Mais plutôt que de se plaindre de ces films qu'il nous semble avoir déjà vu, 2015 était l'occasion de se tourner vers de nouveaux horizons. Le crû cannois de cette année a par exemple fait débat, mais il était rempli de productions plus intéressantes les unes que les autres.  Et qui aurait imaginé qu'entre les films à Oscars et les blockbusters habituels, la scène indépendante américaine soit elle aussi plus solide que jamais ?
Il y aura des absents, mais sur les 140 films sortis en 2015 que votre serviteur a découvert, il a décidé d'en sélectionner 30 d'horizons différents. Et avant que vous veniez me faire la leçon avec vos "Mais où est... ?", je vous annonce que ma réponse sera "Il n'est pas là". Parce que si on était tous d'accord, ce top ne servirait à rien.
Ah, et bonne année !


C'est sur les premières notes féeriques de El Condor Pasa que Wild s'ouvre. Une sorte de préambule décousu et pourtant d'une remarquable cohérence face à l'aventure qui nous attend. Le deuil, les regrets, les erreurs - tant de forces négatives s’abattent sur notre héroïne. Elle tente de riposter, d'abord, tente de survivre, puis découvre une porte ouverte à la liberté au coin d'une librairie : isolée du monde, écartée de ses démons, c'est une thérapie grandeur Nature dans laquelle se lance Cheryl. Il y aura bien des embûches, des pièges, tout semblant l'obliger à abandonner - mais elle continue, infatigable, persuadée que la solution se trouve au bout du chemin. Sans jamais prendre son spectateur de haut, Vallée signe une fable familiale aux allures de tranche de vie désespérée. Un récit initiatique, oui, mais un récit initiatique tardif, sur la place d'un parent et le regard qu'on lui porte. Le giron maternel s'estompe au fil des images, les amours de jeunesse s'éloignent lentement. D'une justesse émotionnelle fabuleuse, Wild est aussi un hommage à l'aventure et à la plus primitive des libertés : celle d'écrire son destin sans l'aval d'un autre. Witherspoon est fantastique, Laura Dern est bouleversante - deux femmes, deux époques, deux douleurs. L'une regarde l'autre comme l'héritage de ses rêves avortés, l'autre voit sa mère comme le martyr sacrifié sur l’autel de sa propre vie. C'est beau, c'est touchant, souvent bouleversant, et surtout c'est d'une rare sincérité. Arriver à formuler une œuvre aussi follement intéressante sur un sujet si essoré, il n'y avait que Vallée pour y arriver.


The Terror Live est sorti il y a maintenant deux ans et demi en Corée, mais il n'est arrivé que cette année dans les bacs de DVD français. Thriller dans la pure tradition kimchi, le film de Kim Byeong-woo se revendique de la série B, avec son rythme haletant, les archétypes qui lui servent de personnages principaux et cette obsession du rebondissement. Au fond, il n'y a pas grand chose à en retirer à part un plaisir certain, doublé d'un propos de fond qui rappellerait les plus malines productions US de genre des années 80. On est loin des cadors du Pays du Matin Calme, mais avec sa générosité électrisante et son casting au charisme imposant, The Terror Live est un plaisir coupable rondement maîtrisé.


Avec Vice-Versa, Pixar renoue avec son âge d’or. De son humour ravageur ultra-référencé à une justesse émotionnelle bouleversante, sans oublier l’intelligence thématique sous-jacente qui, bien plus que de simplement proposer une aventure palpitante, tend à faire réfléchir et donner aux parents un objet d’étude très malin sur la fin de l’enfance et sur la personnalité de chacun. Vice-Versa regorge d’idées créatives et visuelles, réinterprétant à sa guise les plus basiques notions psychiques en allégories passionnantes, bien plus poussées qu’elles ne voudraient le faire croire. Chaque détail a un sens, chaque décision scénaristique, chaque choix visuel possède une définition profonde qui rend l’analyse ludique pour les plus âgés. La trouvaille de Vice-Versa, et c’est une habitude courante chez Pixar, c’est bel et bien la complémentarité du texte et du sous-texte. Les plus jeunes y verront une aventure amusante et touchante aux personnages très réussis, les plus âgés une métaphore criante de réalisme de leur expérience personnelle, illustrée par des peluches loin d’être aussi caricaturales que prévues. Et c’est pour cela que Vice-Versa marquera les esprits. Les plus jeunes, épatés par ce film à huit ans, le redécouvriront dans une décennie en levant le voile sur tout ce qui avait pu leur passer sous le nez au premier visionnage. Mélancolique, inventif, drôle, bouleversant, et surtout d’une simplicité qui lui fait tout honneur. On serait presque prêts à oublier la fadeur de Rebelle et l’inutilité des suites de Cars et de Monstre et Cie. C’est en tout cas un beau tour de force au sein d’une industrie d’animation américaine qui avait tendance, ces dernières années, à se répéter et à ne plus émerveiller personne. Il en fallait aussi du courage pour traiter de manière aussi frontale de la dépression infantile et de la violence du monde adulte. Magnifique.


Mal-aimé de ce Cannes 2015, Tale of Tales n'avait effectivement pas grand chose pour satisfaire les papilles acérées du public habitué de la Croisette. Sorte de conte gothico-satirico-merveilleux, situé quelque part entre Del Toro et le Excalibur de Boorman, le dernier film de Matteo Garrone est une suite d'imperfections construisant une atmosphère aux couleurs kitschs et à l'humour burlesque. Entre imagerie cauchemardesque et émerveillement candide, Garrone se trouve un ton singulier, celui d'un metteur en scène d'une douce subversion, paradoxe lexical à la hauteur de la division que Tale of Tales semble créer auprès du public : ridicule et grandiose dans le même temps.


Lamb est un processus en deux temps : d'un côté, une lecture politiquement engagée sur les rôles pré-déterminées par la société ; de l'autre, un cri de douleur intime étouffé sur le deuil et la maternité. Le film de Zeleke n'a pas vraiment la noirceur des productions africaines habituelles, il s'agit bien davantage d'un conte philosophique initiatique à l'esprit aventureux, une éloge à la marginalité profonde, critique, triste, mais jamais pessimiste ou juge. Du cinéma tout public qui ne tire pas les enfants par le bas, c'est dans un sens si rare que Lamb est une merveille pour cette seule et unique raison.


Shyamalan aime surprendre, ses films comme sa carrière semblent être une série de twists plus improbables les uns que les autres – alors qu'on le croyait artistiquement mort, après trois ou quatre films plus ou moins mauvais, le cinéaste sort ce The Visit de nulle part, petit budget en found footage dont on aurait surement pas prévu la réussite il y a quelques mois. Ce qu'il y a de particulièrement brillant dans The Visit, c'est son talent pour la réutilisation des codes d'un dispositif de mise en scène qu'on croyait synonyme de manque de vision : Shyamalan fait du found footage un autre moyen de voir le monde, un nouveau regard porté sur la diégèse – pendant une bonne partie du film (au moins jusqu'au dernier quart d'heure), son dernier volet est un conte cynique sur la valeur relative de la perception. Des scènes du quotidien, Shyamalan fait des scènes d'épouvante intense – en déformant nos yeux et en brouillant nos repères, en transformant le commun en cauchemar, il nous manipule, mieux que jamais. Et surtout, malgré les limitations de la caméra intra-diégétique, il met réellement en scène, avec un sens du cadre singulier qu'on ne voit que trop peu dans ce type de films. Une véritable rédemption créative.


Dans un élan autobiographique, Nanni Moretti livre peut-être l'une de ses œuvres les plus bouleversantes. Mia Madre, dans la sobriété de son exposition, la pudeur de son expression, est une merveille d'évocation, où l'absence de description trop appuyée donne à son propos une force incroyable. Une justesse émotionnelle soutenue par un casting fabuleux et un virtuose doigté dans l'écriture. C'est l'alliance de cette finesse formelle avec la réalité crûe de son intrigue qui élève Moretti en maître absolu dans cette tradition cinématographique purement transalpine, entre social et mélodrame.


En seulement deux films, Patrick Wang s'est révélé comme l'une des valeurs sures du cinéma indépendant américain – budgets courts, moyens techniques quasiment amateurs : Le Secret des autres semble être une anomalie de forme, même dans la sphère arty d'outre-atlantique. C'est dans cette simplicité que le film de Wang trouve sa grandeur. L'image film familial, la sobriété de la composition, la saveur brute du casting : cela sonne vrai, établissant un relief inédit aux personnages et à l'action du métrage. Le tout sur fond d'une tendresse de ton absolument bouleversante, dégageant lentement mais surement les sentiments, les secrets et les fantômes du passé silencieux de ceux qui continuent de vivre. Du cinéma de niche, du cinéma intime, certes, mais du cinéma proche et enlaçant.


Passé l’excitation de retrouver Bong Joon-ho et Shim Sung-bo à la co-écriture d’un même film, plus de dix ans après Memories of Murder, difficile de contenir son impatience. Et bien entendu, impossible de ne pas reconnaître la patte Bong dans Sea Fog, principalement dans les personnages – on retrouve cette sensibilité sociale alliée à une cruauté morale, à la limite du malaise, ces hommes ordinaires confrontés à l’impensable, à un monde animal qu’ils ne comprennent pas. Sea Fog est un cauchemar, une aventure tétanisante et oppressante qui fascine autant qu’elle dégoute, qui interroge autant qu’elle surprend. Bien plus qu’un thriller dans la pure veine kimchi, Sea Fog est aussi et surtout un formidable drame sur fond de crise populaire et économique, l’effondrement financier de la classe populaire coréenne – le tout traité avec une justesse surprenante à la vue de la brutalité dont fait preuve Shim dans sa narration, questionnant autant moralement son spectateur que ses protagonistes. Âpre et violent jusqu’à sa dernière note, c’est surtout dans sa deuxième moitié que Sea Fog s’envole, notamment grâce à cette superbe mise en scène qui use de son environnement comme d’un véritable personnage. Le brouillard, le chalutier, la cale : chaque recoin de ce bateau qui sert à la fois de décors et de moteur scénaristique, devient un nouvel acte de cet enfer perdu au milieu de l’océan – on ne différencie plus la folie du désespoir, l’amertume de la bestialité. Sea Fog est un grand film choc, huis-clos à ciel ouvert à la frontière du conte philosophique. Il y a les promesses d’un cinéaste qu’on l’on aimera retrouver à l’avenir, mais aussi l’empreinte de l’un des plus grands maîtres modernes qui imprime, même discrètement, l'ambition d’un cinéma fort, intelligent, tragique et dévastateur. Immanquable.


Panahi brouille à nouveau les frontières de la réalité et de la fiction, retrouvant à nouveau cette veine cinématographique ultra-réaliste qui brise allègrement le quatrième mur pour mieux desservir son propos. Mais c’est bel et bien avant tout ici un film somme, comme un testament, bilan d’une œuvre étalée sur près de vingt ans : Panahi aligne références sur références à son propre cinéma, implicitement ou non, comme si chacune de ces scénettes qui s’entrecroisent provenait de l’une de ses précédentes réalisations. Mais Taxi Téhéran n’est en rien un film égocentrique, il n’est pas non plus un appel à l’aide s’apitoyant sur son propre sort : non, le nouveau Panahi est un formidable pamphlet libérateur, jamais moralisateur, peignant avec une justesse admirable la ville de Téhéran et ses habitants, s’intéressant autant aux limites du régime politique iranien qu’à la place de l’Art et de la représentation dans une société iconoclaste. C’est cette simplicité des effets, cette pureté du relief narratif qui donne au film de Panahi toute sa puissance, transformant cette vivacité quasi-amateure en une expérience de cinéma engagé unique en son genre. On pense évidemment à Ten et à Le Goût de la cerise de son compatriote Abbas Kiarostami, mais c’est à sa propre logique que répond Panahi. Taxi Téhéran est un huis-clos, mais il n’est pas fermé : cet espace est en mouvement, il évolue en même temps que son décors. Un taxi, c’est pourtant simple – Panahi en fait une agora, une place publique et pourtant un isoloir si privé où chacun s’exprime sans tabous, sans règles, sans la crainte de possibles représailles. Que la sacrosainte liberté d’expression trouve son apogée dans l’intérieur étroit du taxi iranien d’un réalisateur qu’on a voulu censurer, c’est une douce ironie à l’image de la réussite du dernier grand vainqueur de la Berlinale. Intelligent et drôle, subtilement terrifiant et foncièrement touchant, posant les questions qu’il faut, quand il faut, Taxi Téhéran est une merveille d’écriture et un objet filmique profondément atypique à la portée philosophique inégalée. Le triomphe artistique d’un génie que le bâillon a rendu plus éloquent que jamais. Un coup de maître.


Mélancolie, madeleines de Proust et amours de jeunesse : le nouveau Desplechin apporte à la carrière du cinéaste une fraîcheur qu'on ne lui donnait plus dans ses récentes réalisations. Trois souvenirs de ma jeunesse est un drame intime empli de nostalgie et de joie de vivre, expression littéraire de l'initiation par le biais du film d'aventure ou encore du roman épistolaire. Il y a, dans cette construction mentale des souvenirs – qui rappelle Le Miroir dans une version plus romanesque et moins désenchantée. Juste et touchant quand il le doit, drôle quand il le peut, le dernier film du plus bobo des réalisateurs français continue d'adapter son microcosme à tous ses spectateurs – et parler à l'univers en discutant de soi, c'est grand.


Drôle de film que ce The Big Short. Sorti un peu de nulle part avec son casting cinq étoiles, le nouveau film d'Adam McKay est une rupture totale avec le reste de sa filmographie (même s'il avait déjà amorcé les mêmes thématiques dans le générique de fin de Very Bad Cops) – son seul point commun en fin de compte, c'est le ton comique qu'il choisit dès les premières minutes. Sauf que des comédies américaines de cette trempe, on ne croyait en voir qu'à la télévision : mise en scène mockumentaire qui rappelle les belles heures de Arrested Development ou The Thick of It, quatrième mur allègrement dépassé, humour ésotérique et vulgarisation intelligente, The Big Short c'est peut-être la première comédie d'économie de l'histoire du cinéma ; sorte de farce macabre bourrée d'humour noir qu'il faut suivre pour comprendre et embrasser pour adorer. Dans The Big Short, on rit nerveusement de l'impensable, on se moque des puissants banquiers desquels nous sommes pourtant la chair à canon ; finalement, on rigole un peu de nous mêmes. Grinçant, engagé, parfaitement écrit, interprété et réalisé. Ce n'est pas fait pour tout le monde, mais c'est un film important et définitivement singulier dans le paysage actuel de la comédie US. JFK à la sauce The Office.


Les biopics, les américains ils connaissent. On en a eu des dizaines cette année, de Selma à Imitation Game, en passant par Invincible et American Sniper. Mais au milieu de tous ces produits à Oscar, un original, un mauvais élève qui, par la transcendance de sa forme, livre une fresque intime passionnante en deux tableaux, deux époques, deux portraits d'un même homme à deux moments de sa vie. Brian Wilson, compositeur et membre des Beach Boys fut longtemps un incompris, un génie que l'on a voulu enchaîner, et qui en a souffert une grande partie de sa carrière. Love & Mercy est plus qu'un hommage, c'est une observation fascinée d'un excentrique pris au piège dans une industrie en retard sur son talent. Bill Pohlad est passionné par son sujet, qu'il opère comme une piste de Pet Sounds : halluciné, désenchanté, et pourtant si doux et angélique au toucher. Un grand film passé inaperçu, un peu comme, en son temps, le personnage auquel il s'intéresse. Dans tous les cas, une véritable leçon d'écriture et un terrain de jeu parfait pour les blasés des biopics académiques.


Comment Quentin Dupieux, cinéaste par excellence de l’irréel, a pu titrer son dernier film en date Réalité ? Dans celui-ci, il y a en tout cas un peu de Buñuel, un peu de Blier : en poursuivant son chemin dans l'absurde, le cinéaste s'aventure dans le mystère. Réalité est drôle et insondable, brillant et enfantin – comme une poésie instable, où le non-sens fait sens et où le ridicule devient majestueux. Plus que le meilleur film de Dupieux à ce jour, Réalité est une révélation : celle d'un artiste qui, par l'expérimentation constante des limites de nos sens, perturbe et transcende notre vision du cinéma. Ce n'est pas révolutionnaire, mais ça a le mérite d'être follement original et incroyablement jouissif.


On nous parle de robotique, d’éthique, d’évolution, de religion, d’internet, de la valeur des données, de la réalité et de l’imitation, de l’avenir de la science et de l’avenir de la conscience. Ex Machina est un film si riche et si complet qu’il est difficile de déterminer par quel flanc l’aborder. Ce qui est de prime abord très intéressant avec le film de Garland, c’est qu’il évoque l’intelligence artificielle non pas par le prisme de sa possible dangerosité comme c’est souvent le cas dans ce genre de film – c’est tellement facile de singer Kubrick – mais par celui de la notion même d’intelligence. Ce programme est-il conscient ou ne l’est-il pas, se contente-t-il d’imiter la pensée ou en est-il lui-même capable ? C’est la question qui traverse Ex Machina – celle du statut de Prométhée moderne étant rapidement mise de côté, sans pour autant être survolée. Garland se concentre bien plus sur cette IA que sur son créateur, et c’est là que le film prend tout son sens : la question est non seulement posée aux protagonistes, mais aussi au spectateur, qui en devient le véritable agent du test de Turing. Ex Machina n’est pas didactique, il n’est ni moralisateur ni manipulateur : le film de Garland est provocateur sans être lourdingue, il ne fait aucune concession vis-à-vis de son sujet et c’est là sa plus grande force, celle d’une exhaustivité totale qui n’omet aucun aspect en cours de route. Il faut parfois savoir lire entre les lignes pour assimiler certaines références – l’empathie, le mensonge, le pathos – amenées de façon implicite et laissées à la seule intelligence de l’observateur. Garland signe une œuvre d’anticipation forte, intelligente et passionnante, aux effets sobres et aux interprètes excellents. Ex Machina, c’est de la science-fiction théâtrale dans ce que le terme a de plus noble : dialogues profonds, importance de l’espace et pertinence du propos. Et quand, dans certaines scènes, le film se trouve une dimension à la fois contemporaine, futuriste et passée, on ne peut s’empêcher de penser à Philip K. Dick et à d’autres grands noms du genre. Rien que pour ça, on ne peut que s’incliner et applaudir la démarche.


Avec la situation politique qui secoue depuis mai 2014 la Thaïlande – un coup d’état ayant transformé le pays en une dictature militaire – Cemetery of Splendour possède le goût déchirant d’un au-revoir. Apichatpong Weerasethakul aime son pays ; il a été le pilier de cette nouvelle vague cinématographique thaïlandaise, mais désormais, il semble désespéré. L’art, dans un régime totalitaire, ne peut pas s’épanouir pareillement. C’est comme si, par la force des choses, la filmographie de Joe prenait une dimension supplémentaire – une ligne politique s’insérant discrètement entre la poésie de ses images et les questionnements existentiels qui l’ont toujours fasciné. Mais même quand il s’essaie au social, Joe ne trahit pas son amour du cinéma, et Cemetery of Splendour est une œuvre tout aussi fascinante que ses précédentes. N’y voyons pas non plus un brûlot désinvolte ; il s’agirait plus certainement d’une triste chronique de l’état d’un pays en crise identitaire. Ce rapport au surnaturel n’aura que rarement été aussi bien dosé. Comme d’habitude chez le thaïlandais, le fantastique apparaît par petites touches, acceptées comme crédibles et logiques par les protagonistes – ce qui semble, dans Cemetery of Splendour, mieux équilibré que jamais, c’est cet émerveillement devant un tableau familier qui, comme en opposition à ces histoires de fantômes, n’a en apparence rien de singulier. Cemetery of Splendour est une œuvre sobre. Peut-être la plus sobre de Joe depuis Blissfully Yours, mais elle n’en demeure pas moins un cri de douleur étouffé, un chant du cygne enchanteur et bouleversant, qui ne tombe jamais dans le désespoir ni dans le pitoyable. Au contraire, Cemetery of Splendour est un superbe accomplissement, une balance parfaite de rêve, de tradition et d’engagement. Si c’est un bel et bien un adieu, il est tout simplement magnifique.


Là où Canines ressemblait à un pastiche vulgaire et ennuyeux du cinéma de Michael Haneke, le The Lobster du grecque Yorgos Lanthimos ressemble à un redémarrage artistique de la part de son auteur. Il conserve cette absurdité froide, cette subversion cynique en fond de satire sociale bien trempée, mais y trouve cette fois-ci une sorte de poésie noire qui, telle un conte philosophique grinçant, théorise sur nos sociétés : sexualité, identité, isolement, fascisme et contre-pouvoir, The Lobster est un film complexe qui interroge autant qu'il dérange, explorant à l'aide d'une finesse relativement inédite dans ce type du cinéma les affres refoulés d'un monde sans issue, où, malgré une nécessité de conformité, on ne fait que trouver la marginalité. Il y a un jeu de miroirs dans The Lobster qui, entre brûlot politique et chronique existentielle fataliste, esthétise l'anormalité et le paradoxe des discours philosophiques. Brillamment excentrique.


Sundance s’attaque au cas horrifique – entre les found footages et les histoires de fantômes redondantes, cela fait de It Follows un OFNI total, une expérimentation qui, tant dans son détournement du genre que dans la compréhension de son impact (la menace invisible et fataliste), transcende complètement le cinéma d’épouvante. David Robert Mitchell se dresse en formaliste de génie, un créateur d’ambiances, un conteur de cauchemars. It Follows est non seulement l’un des meilleurs films d’angoisse de ces dernières années, il est aussi une brillante réflexion sur l’adolescence, la fin de l’innocence, le monde adulte et le spectre lancinant des MST – à un tel niveau d’allégorie, avec ces idées de plans absolument démentes et cette bande-originale orgasmique, on peut parler d’accomplissement absolu. Une référence instantanée.


Hacker est un film d’une grande modernité. Dans son sujet, bien sûr, mais surtout et avant tout dans son emballage. Il est peut-être quelque peu présomptueux d’avancer cela, mais Michael Mann est un réalisateur extrêmement en avance sur son temps. Comment filmer la menace invisible ? C’est dans cette peinture magnifique d’une société paranoïaque que Mann tente de trouver une réponse à cette question : il esthétise un monde, décrit ses craintes et sa rapidité, ses enjeux et sa fragilité. Rien de pessimiste pourtant – c’est bien davantage dans le tableau de la contemplation de ses contemporains que le réalisateur excelle. Dans un déluge de trouvailles visuelles novatrices et réfléchies, Mann nous invite en terrain connu mais brille ici d’une maîtrise titanesque. Hacker est un film de son époque, un objet impressionnant qui rappelle – étrangement – Antonioni dans sa sensibilité artistique. Ce n’est sans doute pas son meilleur film, mais Mann réalise ici un tour de force incroyable : là où le souci du détail rencontre l’abstraction de l’invisible, où le matériel fusionne avec l’immatériel, où – dans une explosion de sens – le numérique devient texture, son sens du pictural trouve son climax. Cela donne l’ultime itération anti-hollywoodienne de la filmographie du moins américain des cinéastes américains : tout simplement brillant.


En maître absolu du storytelling, Spielberg s'est révélé un conteur d'histoire hors pair. Le Pont des Espions fait preuve d'un académisme prononcé, mais impossible de rester de marbre devant une telle intelligence dans l'écriture visuelle du cinéaste. La narration est fluide, la reconstitution est exemplaire – le scénario des frères Coen, lui, allie avec un sourire en coin le classique drame hollywoodien et la douce satire de la Guerre Froide – tandis que Tom Hanks y trouve l'un de ses meilleurs rôles depuis longtemps. Le Pont des Espions ne changera sans doute pas le visage d'Hollywood, mais avec sa classe et sa maîtrise, il érige au rang d'art l'espionnage classique. Intelligent, charismatique et infaillible. Du grand Spielberg.


Life est un film de photographe, dans sa conception comme dans son concept. Corbijn en est d'ailleurs un, et chacun de ses longs-métrages transpire de cette passion du cadre et du sujet. Life est un accomplissement parce que ce rapport du cinéaste à sa caméra est la clé même du film – riche, sobre, humain, Life c'est l'histoire d'une époque dans l'espace étriqué d'une relation photographie-photographié. Corbijn sait trouver une magie dans le désespoir, une poésie dans cette Amérique enneigée, un concert dans le silence. Ses sujets, il sait les complexifier et les simplifier, les expliquer sans les démystifier. Non, Life n'est pas un biopic classique ; ce n'est d'ailleurs pas vraiment un biopic. Une tranche de vie éphémère, vaporeuse, sorte de mythe à l'imagerie routinière.


Jia Zhangke semble métamorphoser son art à chaque film. Son discours ne change pas vraiment, on retrouve dans Au-delà des montagnes les mêmes interrogations sociales qui rythmaient A Touch of Sin (de façon beaucoup plus brutale) ou encore Still Life (de façon beaucoup plus silencieuse). Son dernier volet est cependant le plus sensible de sa filmographie, où l'approche d'une émotion tendre, de thématiques douces sert de prétexte à dresser la toile de fond d'une Chine en plein bouleversement, abandonnant peu à peu ses cultures au profit du fantasme occidental. Ici, les personnages ne répondent pas à cette crise identitaire par une explosion de violence comme dans son précédent long-métrage, mais davantage par des questionnements intimes, dessinés par le spectre d'une nostalgie muette, subtilement amorcée par le talent incroyable du cadre de son réalisateur.


Il est normal d'être perturbé par Le Fils de Saul. La démarche de Laszlo Nemes n'est pas des plus agréables ni des plus évidentes, la décision de représenter l'horreur absolue de façon "réaliste" est de base un choix qui peut porter à débat. Quelles soient ses ambitions, Le Fils de Saul est dans tous les cas une démonstration cinématographique impressionnante, tétanisante, d'une force évocatrice absolument imparable. Un sens du hors champ inégalable couplé à un dispositif de mise en scène courageux mais à la réussite indiscutable. Le coup d'essai de Nemes est aussi un coup de maître, quelque part entre Requiem pour un massacre et La Liste de Schindler, sorte de testament conclusif sur l'horreur de la Shoah. Aussi brillant qu'il peut dégoûter, Le Fils de Saul est un pavé dans la marre qui, plus que de représenter l’irreprésentable, transcende la question de l'image et de l'imitation. La perfection technique.


La caméra flottante de Guerman avance au milieu de ces visages difformes, défigurés, grimaçants. Tous sont laids et sales, tous divaguent au milieu de cette orgie glauque de chair et de boue, aucun ne semble ni penser, ni réfléchir. Accablés, empoissonnés, tous suivent un dieu. Un terrien venu leur rendre visite des cieux, apportant de son savoir et de sa grandeur sur leurs pauvres esprits primitifs. Non seulement ces terriens se sentent chez eux, mais ils se prennent pour des divinités : Alexei Guerman parle de l'obscurantisme. « Le monde est en danger », dira-t-il, sans doute effrayé par le nouvel ordre mondial, ses leaders, et le poutinisme. Allégorie politique et satire religieuse, conte philosophique à la frontière du socialisme et du nihilisme, fable macabre désenchantée, mais surtout collision brutale des genres et des thématiques dans une explosion de sens. On s'aventure dans ce chaos répugnant, où les cadavres côtoient les vivants, où les monstres font partie du décors et où les dieux marchent parmi les mortels. Univers glauque et poétique, qui effraie autant qu'il interroge, et au milieu de tout ça, un cinéaste : Guerman, qui abuse de plans-séquences, d'images gores et de personnages aux traits grossiers. On touche autant au génie qu'au ridicule dans ce déluge d'insanités : on est au-delà du tout. Au-delà de l'idée qu'on a du cinéma, au-delà de tout ce qui a été fait dans le genre, au-delà des mots pour le décrire. Il est difficile d'être un dieu ne ressemble à rien dans l'histoire du septième art. Béla Tarr rencontre Tarkovski, grâce et malaise s'allient pour ce qui se caractérise comme une expérience unique, éprouvante, presque insurmontable, et pourtant irrémédiablement fascinante. Nul besoin de préciser que l'ultime film de Guerman est une œuvre de division : bouillie indigeste pour certaines, chef d'œuvre solitaire pour d'autres. Il n'y a presque pas de juste milieu dans l'appréciation de cette fresque politique : le hasard a voulu que Il est difficile d'être un dieu résonne plus que jamais dans la conjoncture actuelle, évoquant dans un élan désespéré et presque prophétique le retour inévitable de l'ignorance comme croyance populaire. Devant de telles prémonitions, impossible de rester passif. Monumental.


Belle année pour l'animation française, avec Mune, Phantom Boy ou encore Adama. Mais de ces multiples projets aux qualités indéniables, Avril et le monde truqué est le plus accompli. Inspiré par l'univers du bédéiste Jacques Tardi qui s'est occupé de l'univers visuel du film, le film de Desmares et Ekinci est un récit d'aventure steampunk à l'ambition affolante, rappelant autant Jules Verne que Bernard Deyriès. Une merveille graphique, regorgeant d'idées, plus maligne qu'elle n'y paraît, palpitante et enchanteresse. C'est dans tous les cas ce que le cinéma français a produit de mieux en 2015.


Guzman filme un pays, le sien. Dans ce Chili à fleur de peau, il parvient à toucher au sublime, faisant de ces montagnes et surtout de ces côtes infinies des formes hypnotiques qui découpent l'espace et le temps. Guzman conte une histoire, conte une culture ; il lui donne un visage, une texture, dans cette peinture quasi-malickienne des Andes sud-américaines. Guzman parle de politique, d'humanité, de vestiges du passé et de traditions – mais plus que tout, il parle d'amour. De celui qui le lie à ses terres natales, à ses failles comme à sa grandeur, de ses cadavres comme de ses vivants. Le Bouton de Nacre est une œuvre mémorable, aussi troublante qu'elle émerveille. On est loin du reportage pédagogique sans saveur ; le film de Guzman est une œuvre d'art.


Ce qui fait de Denis Villeneuve, depuis maintenant quelques années, une véritable valeur sure du cinéma nord-américain, c’est qu’il est tout sauf un pur produit hollywoodien. Prisoners n’était pas vraiment un polar, Enemy n’était pas complètement un film mindfuck. On aurait pu attendre de Sicario qu’il s’inscrive dans l’héritage des thrillers sur le trafic de drogue, à la Traffic : si sur le fond, c’est bien ce qui est proposé, il y a ici quelque chose de plus. Quelque chose de plus glaçant, de plus tétanisant, et finalement de plus traumatique. Dès l’ouverture de Sicario, le ton est donné. Dans l’univers créé par la caméra de Villeneuve, il n’y a pas de sourires, il n’y a pas de beauté ; les villes sont impersonnelles, la violence est une routine macabre à laquelle il faut s’habituer, le bien n’existe pas. A force d’explorer à chaque nouveau chapitre de sa filmographie des thématiques et des paysages nouveaux, le cinéaste québécois s’est transformé en véritable auteur majeur d’outre-Atlantique. Ce nouveau film est une leçon de cinéma, un modèle de thriller qui sait bouleverser les codes manichéens d’un genre dont on pensait avoir compris les règles. Derrière son masque académique se retrouve une constatation implacable de l’état du monde, cauchemardesque et viscéral. Puissant.


Bennett Miller veut parler de l’Amérique. Vaste projet qui n’aura que trop inspiré les cinéastes, nous dira-t-on. Déjà avec Truman Capote et Moneyball pourtant, le réalisateur s’essayait à l’analyse froide et désenchantée des failles béantes d’une nation en perte de repères, dépossédée de ses figures et de ses rêves. Miller a fait de son œuvre un véritable cauchemar, empli de visages brisés, torturés, de personnages excentriques bien loin du fantasme. Interrogé sur le choix de Steve Carell, Miller disait qu’il voyait une part obscure en chaque humoriste. C’est peut-être là la plus profonde moelle de son film : au sein d’une industrie hollywoodienne qui ne cesse de se prosterner devant la bannière étoilée, ce portrait terrifiant des Etats-Unis est une curiosité aussi admirable qu’elle est inattendue. Le rêve américain devient horreur, l’Aigle devient un prédateur, le patriotisme se change en fanatisme et la volonté de plaire en folie meurtrière. On admire, apeuré devant tant de noires pensées, ces fantômes s’estomper devant l’autel de la passion et des utopies décomposées. Le bien et le mal disparaissent, il ne reste plus que des hommes, la complexité de leurs relations, de leurs histoires et de leurs destins. Des hommes face à la réalité, saluant le drapeau d’une main, l’autre prête à dégainer. Tragédie moderne, fresque dépressive des Etats-Unis et de ses nouveaux héros, Foxcatcher est un film incroyable. Plus encore que la formidable direction d’acteurs, c’est la sobriété brillante de la mise en scène qu’on retiendra du travail de Miller. Calme décadent dans ce déluge de génie macabre qui fait de l'une des plus grandes claques de 2015 un grand film indispensable, impénétrable, et pourtant si évident.


Un plan : une chambre miteuse, des visages abêtis, l’un n’a pas de nom, l’autre est enfermé ici depuis plusieurs années. C’est un décor auquel il faudra s’habituer, puisque lors des prochaines heures, il sera le seul horizon du spectateur. Celui d’une coursive à l’air libre, séparée du vide par des barreaux infranchissables, de chambres vétustes, dont les seuls meubles sont des pots de chambre et des lits crasseux, d’une salle télé, avec son petit écran et son trafic de cigarettes. Le sol, lui, est jonché de pisse et de mollards, constamment foulé par une galerie d’individus jugés fous par le gouvernement chinois ou par leur propre famille et internés ici, la plupart du temps contre leur gré. Certains sont de véritables psychopathes à l’origine de meurtres ou d’agressions, plusieurs sont légèrement attardés, d’autres encore sont ici à cause de leur dévotion religieuse ou de leur opposition politique. Même les plus stables d’entre eux finissent pourtant par y perdre la raison, enfermés constamment dans cet environnement étouffant, encerclés par des hommes que la nature et la société ont rendu malades. Mais A la folie n’est pas un film sur la santé mentale, il est un film sur ces hommes, oubliés, exclus, dont on efface l’existence et avant tout, l’avenir. Plusieurs resteront ici jusqu’à leur mort, mais tous, sans exception, vivent ce quotidien d’enfermement de la même façon : ils errent, impuissants, désespérés, tentant de combler le temps à leur façon, en fumant, en courant ou s’amusant de la plus humble des manières. Au milieu de ces corps ambulants, une relation : celle du filmeur avec ses filmés, du cinéaste avec ses sujets, comme une histoire d’amour silencieuse. A la folie n’est pas un film qui se regarde, mais un film qui se vit. Une expérience de cinéma hors normes, inoubliable, fascinante de beauté, d’intelligence, de subtilité. C’est passionnant et en même temps complètement dévastateur : on en ressort changé, bouleversé intérieurement, l’image de ces regards perdus imprimée à jamais sur notre rétine. Wang Bing n’est pas seulement un génie, il est aussi un auteur important dont toute la sagesse se résume à son talent pour envahir l’espace propre au spectateur, le toucher de la plus simple des manières, en filmant des anonymes pris dans la tourmente de la société, en dessinant avec une sagesse incroyable le destin clos d’âmes vagabondes. Chef d’œuvre. 


Un fleuve, une jungle, un bateau. C'est avec ces trois éléments très humbles que Ciro Guerra construit L'étreinte du serpent, sorte de film d'aventure métaphysique se trouvant à la croisée de Herzog, d'Apocalypse Now, de Terrence Malick, de 2001 et de John Huston. Difficile à définir, et pourtant facile à vivre : Guerra empreinte de nombreux chemins mais ne s'éparpille pas. Son film est à la fois un road movie passionnant qui, dans ses étapes homériques, rappelle évidemment Coppola, mais aussi un documentaire anthropologique, un dessin expérimental et un formidable plaidoyer environnemental. Choisissant comme fil rouge thématique le choc des cultures, analysant avec beaucoup de sagesse l'avancée technologique et la religion, L'étreinte du serpent est avant tout une expérience. Une démonstration de mise en scène, d'écriture et de direction d'acteurs ; un film fou qui commet l'exploit si rare de ne faire aucune erreur. Est-on face à un classique-né ? Difficile à dire alors que le film de Guerra est sorti il y a moins d'un mois, mais une telle leçon de cinéma, alliant un certain académisme à une transcendance de forme aussi novatrice, on en voit pas tous les ans. Le film de l'année et probablement l'un des plus inoubliables de la décennie.

2 commentaires:

  1. Merci pour ce superbe top 30 qui est à la fois très agréable à lire, donne l'impression de voyager dans tous les pays du monde, et surtout de découvrir les films en question. Je n'ai quasiment pas vu de films en 2015, et cette sélection rassure beaucoup sur la diversité de films au delà des grosses productions plaisantes, mais qui prennent le devant de tous les écrans.

    Je suis vraiment impressionné par le nombre de film et surtout de séries vues et chroniquées, toujours avec les bons mots, sur ce blog. Bonne chance pour 2016 !

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    1. Merci !

      J'aurais pu tricher et essayer de placer les très bons Fury Road (Australie) ou What Do We Do in the Shadows (Nouvelle-Zélande) pour représenter l'Océanie et ainsi avoir tous les continents du monde représentés, mais c'était pas vraiment le but ! Mais je suis content que ça paraisse diversifié ; même si je regrette personnellement l'absence d'une grosse production américaine, comme Nolan ou Aronofsky l'an dernier, mais j'imagine que c'est parce que 2015 était effectivement pas très fameuse de ce côté là (trop de suites, et surtout trop de suites ratées - Fury Road et à la rigueur Star Wars étaient les deux seuls à peu près dignes). Il y a juste Vice-Versa qui a un relativement gros budget, mais c'est un cas un peu à part.
      Je me rassure en me disant qu'en 2016 on aura The Revenant, le retour de Spielberg au fantastique, Batman v Superman même si j'y crois de moins en moins, Rogue One qui m'inspire pas mal à cause de Edwards, Desplat et le casting, le nouveau Scorsese, ou encore la potentielle bonne surprise Assassin's Creed. Mais comme d'hab les meilleurs films viendront des festivals.

      En tout cas merci encore, j'essaierai de maintenir le rythme en 2016 ! :)

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