Un
peu comme Saint Jean, Tarkovski décide de terminer son testament par une Apocalypse. Coïncidence aussi amusante
que perturbante (en est-elle vraiment une ?), elle relie une dernière fois
– si ce n’était toujours pas une évidence – la profonde piété de son auteur.
Homme de foi et homme d’art, Tarkovski fut aussi un homme d’idées. S’est-il
jamais identifié à Andreï Roublev et ses icônes, se chargeant de dessiner avec sa
caméra ces fresques modernes du mouvement ?
On
est pourtant loin de l’extrapolation. Il y a effectivement, chez le russe, une
composition du cadre qui rappelle la peinture. Non seulement dans son
esthétique et sa colorimétrie, avec ces contrastes très évocateurs, mais aussi
dans la hiérarchie des rôles – au travers de ces silhouettes minuscules encerclées
par la puissance écrasante des décors. L’Homme face à la Nature en somme ;
l’Homme face à Dieu. C’est ce rapport qui rythmera la totalité de ses réalisations
à partir d’Andreï Roublev. Quelle
relation peut-on entretenir avec l’Omniscient, et comment peut-elle s’articuler,
notamment en participant à la réalisation de son œuvre ? C’est cette question
qu’évoque Le Sacrifice, dont le seul
titre résume la teneur de l’offrande humaine.
Nul
besoin d’être chrétien pour apprécier les méditations de Tarkovski. Finalement,
au-delà de références sémiologiques à la religion, ce n’est pas tant l’adoration
d’un dogme qui y est transmise, mais le respect et l’entretien d’une
spiritualité salvatrice ; une humilité existentielle, scientifique ou
artistique qu’il cherchera à expliquer, de long-métrages en long-métrages. En
tant que bilan idéologique d’une carrière entière, il est impossible d’analyser
Le Sacrifice sans prendre en compte
ses prédécesseurs.
Mais
pourquoi donc un testament ? Un peu comme son personnage de Le Miroir, Tarkovski – se sachant
probablement proche de sa fin – semble se remémorer sa vie, ses rencontres et
le monde qu’il a connu. Un monde de guerre, de violence, mais aussi d’espoir.
Lui n’a jamais vu ses efforts récompensés, n’ayant pourtant jamais baissé les
bras malgré les nombreux obstacles qui se sont dressés sur son chemin – son œuvre,
c’est celle d’un artiste isolé, tentant d’éduquer le peuple et de changer le
monde dans son coin. Le travail de sa vie, il le transmet fatalement à son
fils, au travers d’un simple carton. Finalement, jusque dans le sacrifice, tout
est question d’héritage.
C’est
sur ce passage de relais que se referme la Bible selon Tarkovski. Le plan
silencieux d’un enfant face à un arbre, au seuil de la vie, au seuil d’un
combat, d’une mission divine aux aboutissements tout autant psychiques qu’ils
apparaîtront comme hermétique aux plus matérialistes. Et si on ne désire pas
retirer de ses films une philosophie de vie, on peut toujours voir dans son œuvre
l’autobiographie bouleversante d’un homme rongé par les maux du monde, et son cri
de désespoir modeste et silencieux ; alors qu’il est si bruyamment
évocateur.
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