Ils
sont partis, on ne sait pourquoi. Mais les vrais disparus ce sont ceux qui
restent. C’est sur cette réflexion que s’est développée The Leftovers. Déjà l’an dernier, le nouvel objet télévisuel non
identifié d’HBO – que n’aurait pas renié un David Milch de la grande époque –
divisait la critique et le public. Construction en tableaux, expérimentations
narratives, contemplation planante d’une communauté-monde qui se reconstruit.
Pour ce second acte pourtant, le virage est encore plus total, brutal, ampoulé,
stratosphérique – incroyable ?
C’est
sur une nouvelle musique que s’ouvre la reprise de la création de Lindelof. Des
silhouettes découpées dans des scènes du quotidien ; des nuages de
poussière et de fines gouttelettes recouvrant ces formes fantomatiques sur un
doux son de country folk nous rappelant de les oublier une fois pour toute. On
est bien loin des fresques michelangelesques de l’an dernier ; même le
cadre semble s’évaporer pour un autre, laissant tomber les périphéries new-yorkaises
pour successivement s’envoler pour la Préhistoire et pour le Texas.
Dans
les esprits de tous les personnages, un 14 octobre. Il pourrait s’agir d’un 13
novembre, d’un 11 septembre ou d’un Vol Oceanic 815. Nul ne doute qu’une
actualité plus ou moins lointaine se trouvait dans la tête des scénaristes de The Leftovers lors de son écriture ;
mais il ne faudrait pas en oublier la profonde universalité. Pourquoi eux et pas moi ? Où sont-ils
tous partis ? Il ne faut pas chercher une réponse définitive aux
questions en apparence narratives que pose Lindelof et son équipe ; car
elles n’en sont justement pas. The
Leftovers est un travail sur l’allégorie, une réflexion en miroir sur le
deuil, sur la mort, sur la tragédie et sur la fissure institutionnelle.
Derrière
tous ces regards se cachent des blessures intimes ineffaçables, chacun les
soignant à sa manière, par le déni, par le souvenir, par la folie, ou tout
simplement par un miracle. Ce n’est pas dans l’esprit de The Leftovers de leur donner un sens ou de les juger, la série ne
fait que les explorer. Tout passe par le geste, dans cette composition d’une
ambition rarement vue sur petit écran. La métaphore se croise à l’illusion, le
rêve aux visions de cauchemars, la fin du monde à la rédemption : tantôt
bouleversante, tantôt ironique, tantôt indescriptible, The Leftovers est surtout une série qui ose, qui – dans son art de
l’introspection – plonge au cœur même des formes physiques des thématiques qui
la hante.
Certains
espèreront trouver une logique dans l’univers meurtri de Miracle, Texas. La
seule logique qui s’y trouve, elle est pourtant très simple, c’est celle du
chaos. Ils étaient là, ils ne le sont plus – pourquoi ? comment ? où ?
Ils sont beaucoup à s’être posé ces questions au fil des siècles et des
millénaires, plusieurs disent y avoir trouvé une réponse. Ils sont au paradis,
ils sont en enfer, ils ont rejoint les étoiles ou attendent patiemment les autres
sur une île lointaine ou dans un hôtel luxueux – qu’importe au final, car les
vivants, eux, n’ont pas bougé. Et ils n’en savent pas plus que vous.
Ce
qui fait de The Leftovers un chef d’œuvre
absolu de la télévision, ce n’est pas tellement l’intelligence de son propos,
sa portée intemporelle, la qualité vertigineuse de son casting, de sa
bande-originale ou de sa mise en scène, mais sa manière d’articuler si
magnifiquement les cartes qu’elle a en main. Damon Lindelof a compris que le
monde qu’il décrit, comme celui dans lequel il vit, n’a pas de sens – comment lui
en donner un, sans trahir son injustice ? Avec un peu d’imagination, un
talent de scénariste peu commun et une famille américaine à laquelle chacun
peut s’identifier, tout est possible. The
Leftovers n’est pas tant une série sur la fin du monde que sur le murmure d’apocalypse
qui traverse les pensées tourmentées des survivants. Les 14 octobre sont
quotidiens, personne n’y échappera ; même pas moi, même pas eux, même pas
vous.
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