Quand,
fin 2012, Lucasfilm fut racheté par Disney, Hollywood trembla. Les fans de Star Wars tremblèrent aussi : les
producteurs de Cendrillon pour
massacrer une troisième fois leur enfance ? La prélogie et les remaster,
c’était pourtant déjà suffisant ; de leurs propres dires. C’était mal
connaître Disney, et mal connaître Star
Wars par extension – les deux univers ne sont pas si lointains l’un de
l’autre, ils ont tous deux transformé Shakespeare en divertissement enchanteur,
ils ont tous deux fait rêver des millions et des millions de gosses à travers
le monde. Après avoir transformé Marvel en une usine à dollars parfaitement
huilée, il n’était pas très étonnant de voir le géant américain se tourner vers
l’une des franchises les plus emblématiques du cinéma, et de tenter d’en faire
l’une des plus rentables. La vraie inquiétude quant à ce septième Star Wars, ce n’étant pas tant qu’il
soit du fait du studio qui a produit Cendrillon,
mais plutôt que ce même studio ait récemment commis Iron Man 3.
La
mission de J.J. Abrams était de taille. Non seulement parce qu’il portait sur
ses épaules le poids des attentes de milliers de fans, ayant découvert la saga
il y a vingt ans comme il y a quarante ans, mais aussi parce qu’il allait
devoir relever le défi d’éviter autant le fanservice
que la facilité, ne pas tomber dans le piège du semi-reboot qui aurait repris
une construction similaire à la trilogie originale (là où l’une des qualités de
la prélogie était d’avoir su développer une histoire très différente), ou dans l’inondation
de références étouffantes. C’est chose partiellement accomplie – impossible,
effectivement, de ne pas penser à Un
Nouvel Espoir devant Le Réveil de la
Force. Si les différents personnages ont l’avantage de posséder un
arrière-plan propre (particulièrement Finn) qui n’avait pas forcément été
exploité dans les précédents films, on peut regretter que celui-ci ne soit
développé qu’en surface, ne dessinant qu’un schéma hésitant de leurs
motivations et de leurs relations. Tout semble aller bien trop vite ; on ne
s’ennuie pas, mais jamais Le Réveil de la
Force ne prend le temps de se poser, d’explorer plus en profondeur ses
protagonistes. Le manichéisme a toujours été l’apanage de la saga, mais il n’a
pas à forcement induire la superficialité, car même si la plupart des nouveaux
personnages introduits par le film sont de belles réussites (particulièrement ceux
de John Boyega, Daisy Ridley et Adam Driver – celui campé par Oscar Isaac apparaît
très facultatif et assez plat au terme de ces deux heures), ils ne sont pas
passionnants.
Des
failles qui font parties intégrantes d’un défaut plus global du dernier Star Wars : son écriture. Une
construction en actes plutôt étrange, proche des films Marvel avec cette manie
de ne jamais vraiment clôturer le film (Le
Réveil de la Force se termine qui plus est sur un cliffhanger artificiel,
qui aurait peut-être eu sa place sur petit écran, mais qui n’est rien d’autre
que ridicule sur le grand – ce n’est pas parce que Hunger Games ou Le Hobbit
ont fait la même chose que c’est une bonne idée, il serait temps que cette mode
de soap opera du dimanche cesse),
sans résolution ni conclusion. Le problème est d’autant plus visible que cette « fin »
est précédée par deux heures d’action quasiment ininterrompues. Une
construction brouillonne peu aidée par la fadeur des échanges, des raccourcis (incohérences ?) vraiment agaçants, mais aussi par ce
discours sur la Force déjà vu et revu depuis six films – on en vient à se
demander s’il y avait des intentions autres que mercantiles derrière ce projet
(on s’en doutait un peu, mais on en a désormais la confirmation). Là où la
prélogie prenait un point de vue nouveau, celui d’un combat intérieur entre
bien et mal, celui d’une tragédie intime aux conséquences dramatiques ;
rien, sur le fond comme dans son application, ne semble différencier Le Réveil de la Force de la première
trilogie. Une vacuité thématique évidente qui laisse le film de J.J. Abrams
prisonnier de l’ombre de ses glorieux prédécesseurs.
Pourtant,
ce n’est pas faute d’avoir essayé. Le metteur en scène se donne complètement au
film, qui est une merveille visuelle et une démonstration incroyable de
lisibilité dans l’action, d’équilibrage des effets visuels. Le Réveil de la Force est esthétiquement
le plus beau film de la saga ; certains plans s’impriment sur la rétine
(notamment dans la dernière partie à l’atmosphère très sombre), le travail sur
la lumière est magistral, les décors – tantôt naturels, tantôt virtuels – sont magnifiques.
Si le scénario ne l’aide malheureusement pas, Abrams aura su le sublimer pour l’écran ;
et là où certains choix de narrations très risqués auraient sans doute créé la
polémique sous la direction d’un réalisateur moins talentueux – au hasard,
Colin Trevorrow – il arrive à les iconiser, à leur donner une profondeur
sensorielle par sa seule gestion du cadrage et de ses couleurs ; car il
suffirait d’écouter les dialogues pour se rendre compte que la frontière entre
le naufrage et le superbe était très instable.
Techniquement,
on est proche du chef d’œuvre de l’Hollywood contemporain – un peu comme Interstellar l’an dernier, ou comme
George Miller avec le dernier Mad Max,
J.J. Abrams semble avoir compris que l’horizon infini des possibilités laissées
par le numérique n’a pas à être exploité complètement. Le Réveil de la Force est un film mesuré, qui sait ne pas trop en
faire, qui sait équilibrer ses scènes d’action et émerveiller juste assez pour
ne pas banaliser – en cela, son Star Wars
possède une texture si rare, si singulière entre deux Marvel qui se ressemblent
comme deux gouttes d’eau. Il a tout simplement une identité, accompagnée d’une
maîtrise admirable de son médium, où les effets spéciaux ne sont pas une cour
de récréation sans retenue mais les pinceaux d’un peintre du divertissement ;
le tout sur la partition d’un John Williams qui, sans transcender son œuvre, l’agrémente
d’une nouvelle bande-originale puissante et émouvante.
Il
est enfin là, et on n’a pas fini d’en parler – il sera difficile de trouver
quelconque notion d’objectivité entre les avis des fans hystériques, des fans
blasés, des curieux, des novices et des professionnels. Au cœur de ce méli-mélo
chaotique, plusieurs évidences : ce n’est qu’une introduction et elle se
considère trop comme telle, certains seront déçus et d’autres surpris, mais
surtout ce n’est qu’un film. Derrière sa promotion assommante qui aura bien
fini par en dégoûter plus d’un, Le Réveil
de la Force est d’une étonnante modestie, respectueux de ses aînés sans en
être trop dépendant – serais-ce cela, le cinéma marketing ? Difficile de
lire les intentions profondes des producteurs ; mais une chose est
certaine : J.J. Abrams, lui, n’a jamais autant brillé. Faut-il alors
être inquiet pour la suite ?
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