Si
la première saison de Fargo était un
projet risqué parce qu’elle déclinait en série l’un des films les plus
emblématiques des frères Coen, la seconde l’est parce qu’elle fait suite à l’une
des nouveautés les plus acclamées de ces dernières années. Avec sa
semi-anthologie, Noah Hawley semble construire peu à peu un univers coenien
ultime, où les thématiques anthropologiques des deux cinéastes se complémentent
à un propos quasi sociétal – à chaque saison son époque, à chaque saison ses
personnages, à chaque saison son sujet de réflexion.
L’an
dernier, Fargo était une série sur la
bestialité de l’être humain, sur la violente animalité qui ronge même les êtres
les plus innocents. Cette nouvelle itération n’est pas tant traversée par ces
questionnements existentiels que par la tragique peinture de l’Amérique
post-Vietnam, rongée par les fantômes de sa jeunesse traumatisée, violentée,
torturée. Le spectre d’une génération abusée par son autorité, par cette puissance
supérieure et omnisciente les utilisant comme les pions de leur grand schéma. Dans
Fargo, les aliens remplacent les
gouvernements, les mafieux sont des soldats, policiers et civils sont les
dommages collatéraux inhérents à toute guerre.
Dans
le dessin de la guerre fratricide de ces victimes aux mêmes racines, la
nouvelle saison de Fargo se révèle d’un
pessimisme rare. Le rêve américain désenchanté, les traumatismes de la guerre,
à l’empreinte ineffaçable, et la profonde inhumanité d’un monde qui les
stigmatise et ne les comprends pas. Hawley fait de cette farce criminelle la
rencontre brillante d’un comique de l’absurde digne des plus grands et d’un
propos social tragique, fataliste et fondamentalement déprimant. Derrière le
visage balafré de ces gangsters plus ridicules les uns que les autres se
cachent à la fois l’ombre de l’enfer de la jungle vietnamienne transmis de
génération en génération selon la mécanique macabre du cycle de la folie de l’homme,
et les malaises d’une époque – du combat contre le cancer à la fin des individualités :
Fargo, saison 2 est finalement le
portrait des failles et des blessures de celui qui aime s’appeler le plus grand
pays du monde.
Mais
la plus grande réussite de la série est sans doute l’illustration de ces
propos. Par l’allégorie, bien entendu, mais aussi avec style – mise en scène
au-dessus de tout (ou presque) de ce qui peut se faire actuellement sur petit
écran, usant de gimmicks et d’effets toujours bien sentis, casting d’un niveau
admirable, inventivité constante dans l’écriture et dans la narration. Tant d’accomplissements
créatifs qui font de Fargo un
monument de la télévision contemporaine.
Tous
essaient de trouver une réponse à cette question : pourquoi la violence ?
pourquoi la guerre ? Certains s’en libèrent et la laissent se déchaîner
dans une explosion de sang et de cris ; d’autres cherchent des solutions :
serait-ce une question de langage ? ou alors un malaise identitaire ?
Comme dernière note positive, Fargo
semble nous dire de garder espoir. Parmi tous ces hommes, certains ont de
bonnes intentions. Le bien, s’il se cache parfois derrière le mal, peut être
une finalité. Hawley a beau être pessimiste, il n’est pas fataliste – et c’est
bien pour cela que son bébé est plus qu’une simple série, plus qu’une simple
relecture de l’univers des Coen. Il est un auteur, et Fargo est son chef d’œuvre.
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