The Walking Dead est une série qu’on
adore détester. Elle fait partie de ces dramas qui alternent le très mauvais et
l’excellent, des épisodes fillers pitoyables et des séquences d’émotion ou de
tension inoubliables. C’est d’autant plus dommage quand on connaît la solidité
du comics, et surtout des jeux-vidéos de Telltale Games. L’annonce d’un
spin-off, si elle n’était pas très surprenante quand on sait la politique
actuelle d’AMC, avait donc de quoi piquer notre curiosité : en apprenant
de leurs erreurs et en possédant, cette fois-ci, une histoire originale qu’ils
allaient pouvoir directement adapter au format télévisuel, les scénaristes
avaient toutes les cartes en main pour nous surprendre.
Fear the Walking Dead a démarré en
douceur – au premier abord décevant, son pilote, malgré tous les défauts qu’il
se traînait, prenait le temps de poser ses personnages. Ici ce ne sont pas des
inconnus réunis par le destin, mais une famille dysfonctionnelle à hauteur d’homme :
pas de flics, pas de têtes-brûlées qui massacrent du zombie à l’arbalète ;
mais deux profs de lycée, un beau-père pacifique, un junkie ou encore un freak
discret. L’autre caractéristique principale de cette introduction, c’est qu’elle
retrace la fin du monde : les séries post-apocalyptiques, comme sa propre
grande sœur, mais aussi Falling Skies
ou Revolution, avaient pris pour
habitude d’accélérer ou d’ignorer complètement cette partie. Fear the Walking Dead peint cette
décadence d’un point de vue intime qu’elle s’évertue à cultiver tout du long de
cette première saison.
C’est
la rencontre de ces deux choix scénaristiques, complètement absents de The Walking Dead, qui fait toute la
réussite de ce spin-off. Plutôt que de parachuter son spectateur dans un
paradigme inhumain déjà en place, Fear
the Walking Dead déconstruit lentement l’Homme, la civilisation, les rêves
et l’espoir. Il y a ce facteur dévastateur, que les protagonistes observent,
impuissants. Cette plongée étouffée dans la sauvagerie, dans l’animalité, comme
un instinct refoulé qui referait subitement surface.
En
résulte que tous les personnages, sans exception, sont attachants. Ce n’est pas
seulement deux ou trois héros badass qui
nous défoulent un peu comme dans The
Walking Dead; mais un véritable lien avec le spectateur, comme si le fait d’avoir
vu la vie de ces personnes s’écrouler devant nos yeux était la fameuse donnée empathique
absente de la création de Darabont. Pas de têtes à claques ici, mais des hommes
et des femmes imparfaits, parfois ambiguës qui, en plus d’empiler les mauvaises
décisions, se voient dans la nécessité d’affronter leurs conséquences. La
teneur du casting n’y est pas non plus pour rien – il n’y a aucune réelle faute
de goût.
Tout
n’est pas irréprochable dans cette (courte) première saison de Fear the Walking Dead. Les péripéties
sont très inégales – on se serait bien passé de cet épisode trafic de drogues –
les dialogues et les échanges ne sont pas toujours passionnants, et ne parlons
même pas de ces tentatives de jump scares complètement superficielles. Si l’on
devait définir la réussite de la série, ce ne serait pas nécessairement une
question de forme ou de fond, mais plutôt la combinaison miraculeuse de détails
isolés. La poésie macabre d’une lumière lointaine que l’on voit apparaître dans
une zone évacuée ; les terribles vérités que l’on choisit de ne pas croire
par confort ; ce saccage quasiment nihiliste d’une maison bourgeoise
voisine quand le monde que l’on a toujours connu semble s’être définitivement
envolé.
Fear the Walking Dead, tout comme The Walking Dead, est loin d’être une
série aussi bête que l’on voudrait bien le croire. Derrière le divertissement
télévisuel honnête se cache une œuvre profonde et désespérée, sombre et
consciente. Un récit initiatique moderne, un Candide horrifique, ou bien encore un Romero soapesque – on est
loin de la critique sociale ou de la satire des travers humains. Fear the Walking Dead est un drame
familial ; le père, la mère, le frère et la sœur comme dernier refuge
institutionnel alors que nos liens sociétaux se sont brusquement évaporés.
On
est en droit de conserver une pointe d’inquiétude quant à la suite des
événements, car si fondamentalement différente cette première saison de Fear the Walking Dead puisse-t-elle être
de The Walking Dead, le nouveau défi
de ses scénaristes sera de prouver que la survie en milieu hostile n’est pas fatalement
une finalité thématique pour les feuilletons de ce genre. Une œuvre touchante,
tragique et éperdue – comme quoi, pour une bonne série d’infectés, il n’est pas
nécessaire d’en tuer à la chaîne. La réaction d’un Travis Manawa,
antibelliciste profondément attaché aux fondations morales de l’être humain,
face à la jungle horrifique d’une invasion zombies sera toujours cent fois plus
passionnante que les mésaventures de Rick Grimes et de son invincible commando.
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