Parmi
les noms qui, collés sur l’affiche d’une nouveauté HBO, feraient frémir n’importe
quel sériephile, celui de David Simon a probablement une résonance universelle.
Créateur de deux des œuvres télévisuelles les plus importantes de la dernière
décennie – The Wire et Treme – ainsi que de mini-séries tout
aussi mémorables, ce n’est pas à Baltimore et non plus à La Nouvelle-Orléans qu’il
pose ses bagages cette fois-ci, mais dans l’état de New York, à Yonkers. En
adaptant, avec le soutien de l’ancien journaliste William F. Zorzi, le roman Show Me A Hero de Lisa Belkin, c’est aussi
la première fois qu’il traite officiellement d’une histoire vraie.
Pour
l’occasion, David Simon s’est payé Paul Haggis, Oscar Isaac et Winona Ryder. L’une
des qualités de ses séries a toujours été la capacité de ses acteurs de se
fondre derrière leur personnage : cette nouvelle itération ne déroge pas à
la règle, car même les stars y sont méconnaissables. Il est effectivement très
important de le souligner, bien avant l’intelligence politique de Show Me A Hero, bien avant la profondeur
de son message, bien avant sa qualité d’écriture exceptionnelle, la véritable attraction
de la série, c’est Oscar Isaac. Isaac qui, depuis Inside Llewyn Davis, enchaîne les choix de carrière admirables (et
diversifiés, passer de Simon à Star Wars
c’est un grand écart). Interprétant Nick Wasicsko, il est la clé du succès de
la série : contrairement aux séries précédentes de son auteur où il était
difficile de désigner une figure centrale, Show
Me A Hero se concentre sur un personnage principal. Simon ne délaisse pas
son amour du récit choral, et les destins de plusieurs visages se croisent
constamment, mais c’est véritablement Isaac qui se retrouve au centre de la
scène. Il donne à Wasicsko une complexité incroyable, de sa confiance fluctuante
à sa paranoïa grandissante – un jeu tout en finesse et une interprétation à
saluer, tant elle était primordiale au succès du reste.
Comme
à son habitude, en prenant le point de vue d’une ville américaine, Simon parle
des Etats-Unis et plus généralement de notre société contemporaine. Deux sujets
semblent au centre de sa réflexion : la ségrégation sociale et la manœuvre
politique. Le point le plus brillant de ce traitement est que, malgré son
engagement, Simon ne s’autoproclame jamais juge des personnages qu’il décrit. Ce
souci du réalisme, de la peinture d’un échange anti-manichéen au possible, rend
ces hommes politiques, ces familles en difficulté et ces riches bourgeois bien
plus humains qu’ils ne peuvent l’être dans la plupart des tentatives
américaines actuelles de fiction sociale – American
Crime, par exemple. Plus que de s’intéresser aux conséquences du rejet et
de la peur de l’autre, comme l’a fait John Ridley, Simon se focalise sur ses
causes. C’est un terrain glissant et il faut savoir faire preuve d’une rare
subtilité pour ne pas tomber dans l’amalgame ou dans la généralisation. Simon
ne fait évidemment jamais dans la caricature – son propos est mesuré et
apparait fatalement comme plus pertinent. Show
Me A Hero n’est pas seulement une affaire de racisme, mais aussi une
chronique politique désenchantée où les mensonges sont presque raisonnables et
où tout est question d’apparence, tout aussi critique envers ses cadres qu’envers
la masse grouillante et déraisonnée, illustration terrifiante des limites de la
démocratie.
David
Simon propose une lecture socio-politique passionnante, intelligente et
nécessaire. Il ne faut pourtant pas faire l’erreur de se limiter à cette vision
de l’œuvre, car Show Me A Hero est
aussi un drame intime touchant, porté par un Oscar Isaac excellent. Six
épisodes, c’est bien court, mais déjà bien assez pour cet auteur de génie pour
intégrer un raisonnement complet à une fiction terriblement attachante.
Personnages complexes sur fond de tragédie moderne, qui ressemblerait presque à
la rencontre de Zola et de Shakespeare dans la banlieue new-yorkaise. Peut-être
son œuvre la plus accessible, de par sa durée et son énergie, et pourtant l’homme
n’est pas tombé dans la facilité. On est d’autant plus impatients quand on sait
qu’il travaille actuellement sur deux nouveaux projets, l’un sur le monde sur
la finance et l’autre sur l’industrie pornographique – de quoi nous
enthousiasmer, car il n’existe aujourd’hui sans doute pas d’auteur plus
brillant à la télévision comme au cinéma.
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