Il y
a quelque chose de fondamentalement transcendant et révolutionnaire dans les
deux tentatives cinématographiques de science-fiction de Tarkovski. Non pas que
Solaris et Stalker occupent une place à part dans sa filmographie – elle est
au contraire très cohérente – mais davantage ce qui ressemblerait à une pièce
réservée dans l’immensité d’un genre et de ses thématiques déjà bien connues. Solaris est une œuvre fleuve de près de
trois heures, longtemps considérée comme la réponse soviétique à 2001 – ce qu’elle n’est pas vraiment –
et par Tarkovski lui-même comme son film le moins accompli.
Il y
a plusieurs questions qui traversent Solaris
– et cela a évidemment un lien avec le fait que Tarkovski, comme très peu
d’autres cinéastes, sait matérialiser des idées à l’écran. Cet océan jaunâtre
en est peut-être la plus belle et la plus mémorable représentation, allégorie
douce et inquiétante de l’Inconnu. Difficile de dire quelle réflexion fait
office de pivot dans Solaris, mais
deux semblent se détacher : la place de l’homme dans l’univers, et
l’amour. La rencontre de deux thèmes aussi dimensionnellement opposés ; l’un
existentiel, l’autre humain, semble être la signature du soviétique.
Ce
qui fait de Solaris un cas de science-fiction
si particulier, c’est ce scepticisme critique de Tarkovski, vis-à-vis de la
science, de la connaissance et de l’égo humain. C’est comme si la physique,
longtemps moqueuse de la religion, se voyait ici remise en question par l’art. Solaris, c’est le plafond de l’esprit
humain, l’ultime mystère qu’il ne peut résoudre, tel une rencontre divine – et
pourtant, elle est du troisième type. L’impuissance face à l’infini, face à des
entités que l’on pense comprendre, mais aux composantes peut-être plus
terre-à-terre que définies.
L’une
d’elles serait l’amour ; son inéluctabilité, sa tragédie. Avant d’être un
film de genre, Solaris est
effectivement un terrible mélodrame, une romance onirique qui brouille les
frontières de la réalité. En ça, Tarkovski excelle – son film n’est pas
seulement un recueil philosophique passionnant, il est aussi une leçon de
cinéma grandiose ; construisant subtilement une ambiguïté de forme
admirable, ne tombant jamais dans le piège de la démonstration, cultivant ses
mystères jusqu’à la dernière seconde ; illustrés à merveille par ces
images inoubliables de cet océan d’ocre impénétrable.
Il n’y
a peut-être pas, dans Solaris, la
même passion que l’on trouvait dans Andreï
Roublev. C’est davantage vers l’exercice de style que se dirige dans
Tarkovski, dans une démarche artistique, comme d’habitude avec lui, exigeante, inédite
et indescriptible. L’homme face à l’infini, l’homme face à l’inconnu, l'homme face à sa perception, l’homme
face à l’Univers : on ressort de Solaris
en se sentant écrasé, par la force du sens et par le poids des images. Sublimement
tétanisant.
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