Netflix
s’étant développée rapidement et étant devenue une véritable multinationale au
fil de ses lancements au travers le monde – depuis peu en Europe occidentale et
en Océanie, bientôt au Japon – il n’est guère étonnant que cette internationalisation
se ressente aussi au travers de son catalogue, et notamment de ses productions
originales. Début août était lancée Club
de Cuervos, dramédie mexicaine sur fond de football, tandis qu’en mars 2016
sera diffusée Marseille, fresque
politique sur la cité phocéenne, avec Gérard Depardieu. Si Narcos, contant la traque de Pablo Escobar, n’avait pas été
présentée comme une production destinée au public sud-américain, elle comporte
cependant une caractéristique intéressante, si ce n’est inédite : on y
parle espagnol. Et non pas quelques répliques ici et là histoire de contenter
le public colombien, mais pendant la quasi-totalité du scénario de ces dix
épisodes, très rarement interrompus par des échanges anecdotiques en langue
anglaise.
Un
choix créatif qui risque d’handicaper la série sur le territoire américain
malgré la forte présence de foyers hispanophones, mais qui mérite pourtant qu’on
s’y attarde tant il apparaît comme courageux. Évoquer la place de la langue dans
Narcos permet aussi de s’intéresser à
son casting, qui en dehors de quelques performances remarquées (mais pas non
plus exceptionnelles), révèle pourtant une incohérence étonnante : si la
production a fait l’effort de recruter des acteurs parlant l’espagnol, elle ne
s’est guère attardée sur leur origine. Ainsi, Narcos réunit mexicains, chiliens, portoricains et même un
brésilien ayant appris la langue de Cervantes sur le tas, tous incarnant des
personnages colombiens – tandis que les accents se mélangent aléatoirement, on
comprend alors que derrière cette façade, Narcos
demeure une série pour ceux qui ne comprennent pas l’espagnol.
Derrière
Narcos, trois scénaristes auteurs de L’Apprenti sorcier et autres Prince of Persia, mais surtout un
réalisateur dont le nom est, depuis sa commande, assimilé au titre de la série :
le brésilien José Padilha, connu pour l’efficace Tropa de Elite, dont on retrouve dans la série beaucoup d’éléments
de mise en scène. Il y a bien sur cette influence commune de Martin Scorsese
qui plane sur les premiers épisodes de la série : cette narration en voix
off qui rappelle Les Affranchis,
cette manie de s’attarder très peu sur des événements importants qui auraient
pu remplir un épisode complet, tout en adoptant cette forme de fresque
criminelle où gangsters et enquêteurs hauts en couleur interagissent par le
fruit d’une orchestration chorale.
C’est
bien là le problème de Narcos. En interview, Padilha expliquait que lui et ses
scénaristes voulaient faire de leur création une série limitée au concept
proche de Fargo, chaque saison
faisant un focus sur une organisation ou une figure criminelle différente,
toutes reliées par des intervenants secondaires identiques. Pour faire court,
on n’est pas loin de l’anthologie, et avant de se lancer dans cette première
saison, on pouvait donc en attendre une mini-série se concluant définitivement au
terme de ses dix épisodes. Sauf que cette démarche a engendré deux choix assez incompréhensibles,
le premier étant de raconter toute l’histoire d’Escobar dans ses moindres
détails à une vitesse affolante, l’autre étant de ne finalement pas terminer de
façon satisfaisante ce récit, le dernier épisode laissant de nombreux arcs et
évolutions en suspens. Même si c’est une décision réfléchie, elle n’en est pas
moins frustrante.
Cette
forme à la Scorsese où le personnage principal omniscient raconte son histoire
avec ironie, si elle amuse au début, finit par agacer avant d’être brutalement
laissée de côté, n’apparaissant plus qu’à de rares occasions. Une voix-off qui
dynamise littéralement l’excellent pilote, mais qui s’avère inadaptée à un
format épisodique : les personnages ne sont pas attachants, les enjeux ont
l’intensité de ceux d’un docu-fiction, et de manière générale, la série peine à
impliquer émotionnellement le spectateur. L’action est rapide, il n’y a pas un
seul temps mort, les informations affluent sans cesse, mais les personnages n’existent
pas. Malgré tout le mal que se donne Wagner Moura à incarner un Pablo Escobar
fascinant, le peu de développement qui lui est accordé l’empêche de briller.
Ses ambitions ? Inconnues du début à la fin, mal expliquées quand elles le
sont : il n’est finalement inquiétant qu’à cause de ses actions inhumaines
mais dont la justification demeure la plupart du temps un mystère. Et il en est
de même pour la plupart des autres figures principales, superficielles et
distantes. C’est presque comme si le script de Narcos était le long résumé d’un roman passionnant. Cette première
saison couvre plus d’une décennie d’histoire, là où n’importe quel scénariste
aurait pu aisément en tirer quarante épisodes passionnants, peuplés de
personnages profondément ambiguës.
C’est
cette question de l’ambivalence qui traverse Narcos, ou en tout cas les quelques scènes qui laissent la place au
développement de cette thématique. Le monstre philanthrope face aux héros
meurtriers, qui n’ont d’autre choix que d’agir dans l’illégalité pour traquer
cette figure antagoniste inhumaine. C’est une justification déjà plus
pertinente que celle de simplement retracer l’histoire du trafic de cocaïne,
mais il n’en reste pas moins que l’on aurait espéré en avoir plus. Que
justement, ces personnages puissent évoluer devant nos yeux, qu’ils soient
confrontés à leur propre moralité – mais pour cela, il aurait soit fallu que Narcos prenne son temps, soit qu’elle
choisisse entre le livre d’histoire et le film d’enquête romancé.
Narcos est une série bourrée de qualités
évidentes. C’est un divertissement honnête à l’énergie communicative, fort bien
mis en scène, et même très maligne quand elle traite de questions politiques.
Mais en usant du média télévisuel d’une façon peu conventionnelle, avec cette
exhaustivité historique quelque peu indigeste, elle échoue à remplir ce que les
séries font de mieux : écrire des personnages intéressants et évolutifs. A
moins de vouloir connaître la longue liste des atrocités commises par Pablo
Escobar et son cartel de Medellin, on ressort insatisfait de cette expérimentation
plaisante, mais confuse, quelque part entre le roman criminel et le
documentaire. On peut se consoler en se disant qu’à défaut de révolutionner le
paysage du petit écran, Netflix nous propose des tentatives originales.
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