Après
un développement interminable de plus de deux ans, il est enfin possible de
découvrir Sense8, la fameuse création des Wachowski et de Straczynzki pour Netflix.
Annoncée comme une révolution pour le petit écran de la même façon que Matrix en fut une pour le grand (une question
de point de vue), il faut dire que si elle a déjà fait couler beaucoup d’encre,
le meilleur est à venir : si l’œuvre des Wachowski, de même que leur « talent »,
fait déjà beaucoup débat, Sense8 ne
risque pas de mettre tout le monde d’accord. Loin de là.
Passée une relative incrédulité au départ liée à quelques choix scénaristiques
improbables (incohérents ?) comme le fait que chacun des huit membres du
cercle de personnages possède un pouvoir digne d’un mauvais RPG et soit, de son
côté, confronté aux pires emmerdes possibles – mafia, trafic de drogue, prison…
Le plus dur est fait. Oui, car même si Sense8
possède de nombreuses qualités, elle souffre d’un défaut majeur et pas des
moindres : son écriture. La mythologie mise en place a beau être
passionnante, les Wachowski n’ont jamais été de très bons dialoguistes ni même
des scénaristes corrects, et puisqu’ils sont à l’origine de tous les épisodes
de cette première saison, cette faiblesse se ressent malheureusement tout du
long.
Ce
qu’il faut savoir avant tout à propos de Sense8
c’est qu’elle se divise en trois types de scènes : les arcs individuels de
chaque personnage, où ils interagissent avec leurs propres antagonistes et
acteurs secondaires ; les scènes d’entraides entre sensitifs – le nom donné aux intéressés – où ceux-ci discutent ou
interviennent dans les storylines des autres ; et enfin la trame
principale qui, globalement, se concentre autour de trois personnages. Le gros
problème c’est que ces trois aspects de Sense8
sont fortement déséquilibrés, certains personnages étant bien moins
intéressants que d’autres – parfois à cause des acteurs, parfois à cause de leur
intrigue, et parfois à cause de la lourdeur de l’écriture de leur caractère –
les trois « principaux » étant par la même occasion pas loin d’être
les moins réussis du groupe, forcément, ça coince quelque part. Finalement, on
ne retiendra que les scènes d’interactions – plus originales, et surtout mieux
travaillées. Et ce notamment grâce au montage assez incroyable, notamment des
scènes de courses-poursuites (il y a des scènes de combat aussi, mais elles
sont peu variées et assez redondantes au final en plus d’être parfois un peu
trop over-the-top) qui écrasent pour le coup tout ce qui a pu être fait dans le
genre à la télévision.
La
mise en scène des épisodes est de manière générale réussie, si l’on n’est pas
allergique au style Wachowski avec cette caméra très mouvante, cette esthétique
new age directement héritée des thématiques de la série, et de vraies lourdeurs
dans les effets utilisés, dernier point à mettre en relation avec la très
réussie bande-originale de la série qui a tout de même tendance à être très
envahissante avec son leitmotiv qui se répète plus ou moins fréquemment pendant
douze heures.
Un autre
élément qui saute aux yeux au visionnage de Sense8,
c’est l’importance qu’ont eu les Wachowski dans le processus créatif, tant
personnellement (surtout Lana) qu’artistiquement. Il y a bien sûr des
thématiques évidentes que l’on retrouve tout au long de leur filmographie –
impossible effectivement de ne pas penser à Cloud
Atlas avec cette fresque culturelle gigantesque autour du karma aux
multiples visages qui évoque à la fois l’amour, le deuil, la sexualité, la
religion ou la famille ; mais aussi à Matrix,
avec cette communauté marginale qui se confronte à un antagoniste rappelant
fortement l’Agent Smith – mais ce n’est pas tout. Sense8 est une œuvre fortement autobiographique où, si l’on connaît
un peu la personnalité des Wachowski, on peut retrouver de nombreux clins d’œil.
Le plus évident étant évidemment la transsexualité d’un des personnages, dont les
flashbacks ont presque le goût d’un journal intime ; mais aussi la place
importante laissée à la fraternité ou même à l’amour du cinéma. Il peut s’agir
d’un clin d’œil discret – l’un des personnages pouvant être un fan de Conan le
Barbare – ou ayant une influence majeure sur la diégèse – Jean-Claude Van Damne
étant par exemple presque un personnage principal de la série.
Difficile
d’émettre un avis sur Sense8, qui
apparaît dès le départ comme une œuvre complètement inédite, singulière, aussi
imparfaite qu’elle force à l’émerveillement lors de certaines séquences
absolument sublimes. Ce qu’il faut admettre le plus rapidement possible, c’est
qu’il ne s’agit pas d’une série qui lie huit inconnus à l’existence commune, ce
serait trop simple, mais d’une qui fusionne la destinée de huit personnages à
qui il arrive des choses extraordinaires au travers d’intrigues parfois à la
limite du soap opera. Non, Sense8 ce
n’est pas un pauvre commerçant, un ouvrier chinois et un clochard russe, mais
une star de cinéma, un hacker transgenre et une banquière spécialiste en arts
martiaux. C’est partiellement risible, ça se récompense par de nombreux
facepalms, mais passer à côté de Sense8
à cause des (gros) défauts qui l’empêchent d’exceller, c’est passer à côté de l’une
des séries les plus originales des dernières années. Ambitieuse,
déstabilisante, ridicule et magnifique, grossière et onirique, simplette et
gigantesque. Une suite de contradictions qui n’en aboutissent pas moins à un
objet télévisuel remarquable, presque expérimental dans sa manière d’interagir
avec son média souche. Fascinant.
Rien qu'à te lire, cette série a l'air déjà déconcertante ! En arrivant à la fin de ta critique, je ne suis pas sûr si je suis très excité à l'idée de découvrir la série, ou si j'ai envie de passer mon chemin... :)
RépondreSupprimer