Alex
Garland fait probablement partie des scénaristes de science-fiction les plus
talentueux des quinze dernières années. Dans tous les cas, si l’on n’était
peut-être pas convaincu jusqu’alors par cette affirmation, Ex Machina arrive comme l’œuvre de la confirmation ou de la
désillusion pour ce collaborateur de longue date de Danny Boyle. Huis-clos
d’anticipation à la frontière de Sleuth
et de 2001, le film est – oh,
surprise – un scénario complètement original.
Bien
que le thème de l’intelligence artificielle ait été traité et retraité autant
sur grand écran que sur papier, il semble revenir à la mode depuis quelques
temps. Her, Chappie ou encore le dernier Avengers
sont passés par là, et il est certain que Ex
Machina, malgré qu’il s’agisse d’une histoire inédite, n’a pas l’avantage
de l’innovation. Pourtant, comme on l’évoquait plus haut, Garland est un
scénariste. Un vrai, un auteur, un malin, bien plus que Whedon, Jonze ou
Blomkamp. Ex Machina est à cette
image un film extrêmement intelligent, pas seulement parce qu’il est d’une
justesse philosophique incroyable sur toute la ligne, mais aussi parce qu’en
moins de deux heures, Garland atteint un niveau de densité thématique admirable.
On nous parle de robotique, d’éthique, d’évolution, de religion, d’internet, de
la valeur des données, de la réalité et de l’imitation, de l’avenir de la
science et de l’avenir de la conscience. Ex
Machina est un film si riche et si complet qu’il est difficile de
déterminer par quel flanc l’aborder.
Ce
qui est de prime abord très intéressant avec le film de Garland, c’est qu’il évoque
l’intelligence artificielle non pas par le prisme de sa possible dangerosité
comme c’est souvent le cas dans ce genre de film – c’est tellement facile de
singer Kubrick – mais par celui de la notion même d’intelligence. Ce programme est-il conscient ou ne l’est-il pas, se
contente-t-il d’imiter la pensée ou en est-il lui-même capable ? C’est la
question qui traverse Ex Machina –
celle du statut de Prométhée moderne étant rapidement mise de côté, sans pour
autant être survolée. Garland se concentre bien plus sur cette IA que sur son
créateur, et c’est là que le film prend tout son sens : la question est
non seulement posée aux protagonistes, mais aussi au spectateur, qui en devient
le véritable agent du test de Turing.
Ex Machina n’est pas didactique, il
n’est ni moralisateur ni manipulateur : le film de Garland est provocateur
sans être lourdingue, il ne fait aucune concession vis-à-vis de son sujet et
c’est là sa plus grande force, celle d’une exhaustivité totale qui n’omet aucun
aspect en cours de route. Il faut parfois savoir lire entre les lignes pour
assimiler certaines références – l’empathie, le mensonge, le pathos – amenées de
façon implicite et laissées à la seule intelligence de l’observateur. Les
personnages dans tout ça ? Ils ne sont pas nombreux mais ne sont
clairement pas au centre de la démarche – existant principalement de par leur
fonction symbolique, suivant un développement plutôt prévisible, ils sont
écrits dans une pure tradition littéraire.
Pourtant,
Garland n’est pas un aussi bon réalisateur qu’il n’est scénariste. L’ambiance
techno-thriller chirurgicale est pesante et étouffante, mais en-dehors de
quelques très beaux plans, la mise en scène n’existe que très peu. Avec sa
double-casquette, Garland est fidèle à sa propre vision, mais ne la transcende
pas : c’est propre, pas désagréable, mais loin de la folle ambition du
scénario.
Impossible
aussi de ne pas évoquer la fin de Ex
Machina : autant le reste du film pose les bonnes questions avec une
rare subtilité, autant sa conclusion paraît facile, si ce n’est ratée, à la
finalité bien plus dramaturgique que philosophique. On aurait pu espérer
l’aboutissement de la réflexion proposée par le film, elle n’est au final
qu’une ouverture très décevante qui n’admet qu’une coupure diégétique drastique
avec les précédentes scènes.
Ce
ne sont pas les quelques défauts de forme de
Ex Machina qui altéreront l’ensemble. Garland signe une œuvre
d’anticipation forte, intelligente et passionnante, aux effets sobres et aux
interprètes excellents.
Ex Machina,
c’est de la science-fiction théâtrale dans ce que le terme a de plus
noble : dialogues profonds, importance de l’espace et pertinence du
propos. Et quand, dans certaines scènes, le film se trouve une dimension à la
fois contemporaine, futuriste et passée, on ne peut s’empêcher de penser à
Philip K. Dick et à d’autres grands noms du genre. Rien que pour ça, on ne peut
que s’incliner et applaudir la démarche. Absolument brillant.
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