Impossible de parler de Taxi
Téhéran sans évoquer son réalisateur, Jafar Panahi. Déjà parce que l’iranien
prend un malin plaisir à se mettre lui-même en scène à chaque nouveau
long-métrage, mais aussi car il est important de repréciser le contexte de
création de ce nouveau volet : interdit de réaliser des films depuis 2010,
Panahi produit Taxi Téhéran en totale
illégalité, comme c’était déjà le cas pour Closed
Curtain et Ceci n’est pas un film.
Panahi brouille à nouveau les frontières de la réalité et de
la fiction, retrouvant à nouveau cette veine cinématographique ultra-réaliste
qui brise allègrement le quatrième mur pour mieux desservir son propos. Mais c’est
bel et bien avant tout ici un film somme, comme un testament, bilan d’une œuvre
étalée sur près de vingt ans : Panahi aligne références sur références à
son propre cinéma, implicitement ou non, comme si chacune de ces scénettes qui
s’entrecroisent provenait de l’une de ses précédentes réalisations. Mais Taxi Téhéran n’est en rien un film
égocentrique, il n’est pas non plus un appel à l’aide s’apitoyant sur son
propre sort : non, le nouveau Panahi est un formidable pamphlet
libérateur, jamais moralisateur, peignant avec une justesse admirable la ville
de Téhéran et ses habitants, s’intéressant autant aux limites du régime
politique iranien qu’à la place de l’Art et de la représentation dans une
société iconoclaste. C’est cette simplicité des effets, cette pureté du relief
narratif qui donne au film de Panahi toute sa puissance, transformant cette
vivacité quasi-amateuriste en une expérience de cinéma engagé unique en son
genre.
On pense évidemment à Ten
et à Le Goût de la cerise de son
compatriote Abbas Kiarostami, mais c’est à sa propre logique que répond Panahi.
Taxi Téhéran est un huis-clos, mais
il n’est pas fermé : cet espace est en mouvement, il évolue en même temps
que son décors. Un taxi, c’est pourtant simple – Panahi en fait une agora, une
place publique et pourtant un isoloir si privé où chacun s’exprime sans tabous,
sans règles, sans la crainte de possibles représailles.
Que la sacrosainte liberté d’expression trouve son apogée
dans l’intérieur étroit du taxi iranien d’un réalisateur qu’on a voulu censurer,
c’est une douce ironie à l’image de la réussite du dernier grand vainqueur de
la Berlinale. Intelligent et drôle, subtilement terrifiant et foncièrement touchant,
posant les questions qu’il faut, quand il faut, Taxi Téhéran est une merveille d’écriture et un objet filmique profondément
atypique à la portée philosophique inégalée. Le triomphe artistique d’un génie
que le bâillon a rendu plus éloquent que jamais. Un coup de maître.
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