Si Breaking Bad a su si durablement marquer
le paysage télévisuel, c’est en grande partie grâce à ses personnages
secondaires. D’Hector Salamanca à Gustavo Fring, c’est toute une galerie de
visages cartoonesques plus fascinants les uns que les autres qui se sont
succédés pour confronter ou épauler Walter White dans ses mésaventures d’ors et
déjà cultes. Mais s’il existe bien l’un d’entre eux qui a su se créer un cercle
de fans hardcores, c’est Saul Goodman, l’avocat véreux campé par le non moins
génial Bob Odenkirk, compagnon de longue date de David Cross et de Ben Stiller.
Que Vince Gilligan, secondé par Peter Gould, le co-créateur du personnage et
scénariste du script de l’épisode dans lequel il apparaît pour la première fois,
annonce un spin-off centré sur ce recurring
character n’est donc pas en soi une très grande surprise, mais ça n’en
demeure pas moins un risque important.
C’est
en tout cas une situation inédite : un prestige
drama – entendons par là un show câblé faisant annuellement acte de présence
aux Emmy Awards – disposera d’une série dérivée. Est-il raisonnable de s’inquiéter ?
Oui, et ce serait justifié : Better Call
Saul s’inscrit dans cette nouvelle ligne éditoriale de la chaîne AMC de
sucer jusqu’à la moelle chacun de ses succès, entre Fear the Walking Dead et le projet avorté de centrer une série sur
Sally Draper, faute de trouver de nouveaux hits. Better Call Saul serait donc une tentative désespérée de reprendre
des couleurs pour quelques années de plus tout en s’assurant une fanbase
importante.
Il
est important de souligner dans un premier temps la forte implication de Vince
Gilligan sur Better Call Saul – à défaut
d’être un gage de qualité, c’est une assurance d’une relative cohérence et
surtout d’un accord tacite du créateur, ce qui n’était par exemple pas le cas
de Matthew Weiner sur le spin-off de Mad
Men. Et dès le pilote, on ressent cette présence : dans les
caractéristiques formelles propres à l’univers de Breaking Bad, tout d’abord – un Albuquerque passé aux filtres
jaunes, des partis pris de mise en scène relativement audacieux et des seconds
couteaux caricaturaux – mais aussi dans son écriture – on pense à ces
dialogues éloquents qui sont réellement au cœur du personnage de Saul Goodman.
On est en terrain connu, les points communs et les références s’accumulent, la
maîtrise de la narration est toujours là. Et même si les quelques clins d’œil à
Breaking Bad semblent bien trop
appuyés – à la frontière du fan-service digne d’un mauvais ecchi – les
nouvelles têtes sont excellentes, en commençant par le génial Michael Mando.
Mais
après trois premiers épisodes très convaincants, Better Call Saul tombe malheureusement dans une routine désolante.
Pendant le reste de ce premier acte, Gilligan et son équipe se contentent de
présenter leurs personnages, de poser des bases, certes solides, mais loin d’être
nécessaires et surtout inutilement étirées en longueur. Quelques épisodes – le sixième,
notamment – viennent ponctuer avec excellence ces dix chapitres, mais on reste
loin – très loin – du potentiel
envisagé par l’entame de la saison. C’est dans le renouvellement de ses enjeux
que Better Call Saul échoue, se
retrouvant coincé dans une répétition presque agaçante qui peine à installer un
quelconque rythme ou un semblant de suspense.
Alors
bien entendu, Better Call Saul est
une série pleine de promesses, et on imagine facilement comment tout ceci
pourrait devenir, un jour, excellent, mais dans l’état actuel des choses, cette
première saison est une déception de taille. Une dramédie décousue qui pointe
dans plusieurs directions mais n’en choisit aucune, hésitant entre suivre son
ainée dans une veine de polar sombre, s’émanciper complètement de ses origines
en proposant un show juridique décalé, ou jouer sur le terrain de la tragédie intime
grinçante.
Better Call Saul c’est beaucoup de
choses et finalement trop peu d’accomplissements. Gilligan reproduit un schéma
nouveau mais très prévisible : s’enchaînent arnaques, flashbacks,
plaidoyers, tentatives de rédemptions et twists relationnels brutaux. Sans
doute est-ce ce qu’on redoutait le plus : la facilité, l’absence de prises
de risques, des gimmicks scénaristiques déjà bien connus. Mettre au profit un
tel génie de la narration au profit d’un show aussi inconséquent, c’est
dommage, et si Gilligan veut vraiment nous convaincre avec ce spin-off, il
faudra mettre les bouchées doubles l’année prochaine. Avant que l’on ne perde confiance.
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