Une année de départs aussi. En retraite, comme Miyazaki (et Ghibli ?), et au cimetière, comme... non, c'est trop dur, je m'en suis pas remis... Comme chaque année, me direz-vous, mais il est vrai que 2014 marquait presque la fin d'un cycle et le début d'un nouveau pour nombre de cinéastes : Wes Anderson qui se la joue film d'aventure, Xavier Dolan qui explose le box-office, Matthew McConaughey qui repart avec un Oscar et Jake Gyllenhaal en route pour en avoir un lui aussi. Ce genre de phrases qui, si on me les avait présenté il y a encore quelques années, m'auraient paru être de mauvaises blagues.
Donc histoire de faire un bilan cinématographique de 2014 (mon bilan, pas le tiens, donc si t'as surkiffé Her je m'en tamponne), j'ai décidé de regrouper et classer quarante films qui m'ont plus ou moins marqué cette année. Oui parce que j'ai vu beaucoup de films de 2014 en 2014. 170 pour être précis, un record pour moi, n'étant nullement proportionnel à l'état de ma vie sociale. C'est juste que désormais, je suis à deux pas de cinémas productifs et intéressants (programmation à tomber, prix peu chers, version originale), et ça, ça change la vie. Vu qu'il n'a fallu en retenir que 40, et que 40 ça reste toujours trop peu, voici d'autres films que j'ai aimé ou beaucoup aimé mais qui n'y figurent pas : Coming Home et sa Gong Li qui plisse les yeux, Un homme très recherché et... non, je m'en suis toujours pas remis..., Fury et son message paradoxal, Stonehearst Asylum et son casting pété, Under the Skin et ses plages peu fréquentables, Sils Maria et sa Binoche, Bird People et son David Bowie à Roissy, '71 et ses pubs irlandais explosifs, Mommy et ses rêves irréalisables... Et je pourrais continuer encore longtemps. Mais passons au vif du sujet. Préparez-vous soigneusement, lecteurs, car le-voici, le-voilà, mon Top 40 des meilleurs films de 2014 :
Les Chiens errants est un film inaccessible. Tsai Ming-Liang dresse des tableaux fixes, inertes, figés dans le temps et dans l'espace, mais tous brillent de par leur composition. La lumière compose le cadre, les couleurs le subliment, les acteurs ne sont plus que des objets comme les autres. C'est à la fois sublime et ennuyeux, mais difficile de rester de marbre face à tant de beauté. Tsai ne voulait pas faire un film pour tout le monde, Les Chiens errants n'est, finalement, un film pour personne. Aussi hermétique qu'il s'imprime dans votre esprit, ce visionnage éprouvant en fait un objet de culte qu'on ne reverra sans doute jamais, mais qui dénote tellement qu'on ne peut que l'admirer, bien au fond de nous.
Le film carcéral est devenu un genre à part entière. Et si Les Poings contre les murs, nouvelle réalisation du talentueux David MacKenzie, n'est pas, en apparence, très original, il se révèle bien plus singulier dans son fond. Fortement engagé, Les Poings contre les murs est aussi un film brutal mais poétique. On suit le chemin de son personnage principal, incertain et impuissant face à ses propres affres et le système qui semble être contre lui. Entre le génial '71, ce film là, et en attendant Unbroken, ç'aura en tout cas été une grande année pour Jack O'Connell.
Riad Sattouf vient du monde de la bande-dessinée, et si on ressentait déjà ce type d'humour dans Les Beaux Gosses avec ses gags cartoonesques, on ressent plus que jamais cette influence dans Jacky au royaume des filles, condensé jouissif d'humour noir sur fond de satire politique. Ça a beau être bourré de défauts, parfois bien trop ambitieux comparé à la réalité de sa condition, le nouveau Sattouf est un tel vent d'air frais au sein du paysage comique français qu'il serait dommage de faire la fine bouche. Absurde, idiot dans sa forme, futé dans son fond, délirant, et terriblement caustique. D'ors et déjà culte.
Un Astérix par Alexandre Astier ? Dit comme ça, ça semblait être une évidence. Dans la pratique, ça l'est plus que jamais : l'humour de Kaamelott s'allie à merveille avec celui de Goscinny et Uderzo, et Le Domaine des Dieux est probablement l'adaptation la plus cohérente et fidèle, tout en étant originale, de la bande-dessinée (Les Douze Travaux n'étant pas vraiment une adaptation). C'est drôle, frais, référencé, peut-être que cela manque un peu de folie et d’ingéniosité, mais le rendu est très propre, et l'animation - merci Louis Clichy - est un pari réussi. On espère désormais que le duo se retrouvera pour une autre adaptation : il y a moyen de faire meilleur encore.
Alexander Payne a toujours eu un talent évident pour dresser des portraits de personnages curieux et atypiques, et arriver - aussi bien - à tisser les liens profonds qui les unissent les uns aux autres. Père et fils, amitié, fratrie ou mari et femme, toute cette vision sur les relations humaines est plus jamais visible dans Nebraska, road movie grinçant à l'humour terrassant et à la puissance émotionnelle très forte. Bruce Dern est fantastique et, si ce n'est pas le meilleur volet de son réalisateur - on lui préférera son précédent, The Descendants - nul doute qu'on se souviendra de sa performance.
Pour apprécier White God comme il se doit, il apparaît impératif de connaître la situation politique de la Hongrie. Effectivement, depuis quelques années maintenant, l'extrême-droite y ait revenu au pouvoir, les pogroms anti-Roms avec. Avec ses faux airs de film de genre dans la lignée de Les Oiseaux d'Hitchcock, White God opère donc comme une allégorie, certes peu fine, de cette nouvelle Hongrie. On nous parle de révolte sociale, de discrimination, mais on regrette que tout le film ne soit pas à la hauteur de la magistrale scène d'introduction, l'une des meilleures de l'année à n'en pas douter.
Palme d'or au dernier festival de Cannes, Winter Sleep n'a pas autant fait parler de lui que The Tree of Life ou La Vie d'Adèle. Surement parce que le nouveau film de Nuri Bilge Ceylan est un peu la caricature du gros film cannois : un drame bergmanien en turc de plus de trois heures. Dit comme ça, ça fait peur. Et si Winter Sleep n'est pas toujours passionnant, la profondeur de son écriture, la qualité de ses interprètes et le génie de son metteur en scène nous font dire qu'on a là un film qui marquera. Un chef d'oeuvre, mais un chef d'oeuvre peu accessible, dont la simple subjectivité ne lui confèrera jamais l'aura qu'il mérite.
Xenia est un film qui grandit bien : plongée dans une Grèce homophobe et raciste, suivant la relation compliquée entre deux frères, le nouveau film de Panos Koutras est une fantaisie à l'ambiance funky euphorisante. Il y a quelques longueurs, mais cette authenticité des émotions primaires délivrées par le film le rend automatiquement sympathique. Réflexion sur le rôle de père, le rôle de frère, délivrant au passage un message à la porté sociopolitique très précis et d'intérêt général, Xenia est un véritable produit de son temps qu'il serait dommage d'éviter, surtout qu'il est globalement passé inaperçu à sa sortie.
Black Coal dérange - autant dans ses fonctions de film policier que de drame social. Dégageant une empreinte forte d'aventure sauvage au sein d'une Chine en perte de repères moraux, le film de Diao Yi'nan réussi à exercer une puissance visuelle et scénaristique, certes irrégulière, mais toujours incroyablement bien menée. C'est beau, magnifique, novateur - la caméra du cinéaste capte à merveille ces mines de charbons, ces patinoires et ces routes enneigées. Si ça ne vaut pas non plus la violence plastique de Zhangke, on reste face à un véritable travail d'orfèvre, pas trop tape à l’œil, mais loin d'être effacé. Une expérience étrange mais nécessaire.
Cronenberg est en plein questionnement existentiel et sociétal. Après l'événement Cosmopolis qui avait largement divisé les spectateurs, Maps to the Stars arrive dans sa continuité tout en approfondissant la narration qui manquait peut-être au précédent film du cinéaste. Hollywood vu comme une usine cauchemardesque par ses déchets, une industrie incestueuse et dangereuse, il en fallait des cojones pour réaliser un tel film dans le paradigme culturel actuel des Etats-Unis. Il manque sans doute de la folle violence dans ce Maps to the Stars, mais Cronenberg est indéniablement un vrai génie. Dommage que tous ses films ne soient pas des chefs d'oeuvres.
Ce film est tourné en langage des signes. Il n’y a ni sous-titres, ni doublage, ni commentaires. Sur ce panneau intriguant et inquiétant s'ouvre The Tribe, l'un des chocs du dernier Cannes. Réalisation de titan, jeu de champ et de hors-champ, de silence et de paroles étouffées, d'émotions primitives, de voyeurisme. Le film de Slaboshpytskiy (« A tes souhaits ! ») est tout sauf consensuel : brutal, dérangeant, déstabilisant, frontal. On en ressort perturbé par cette expérience aussi subversive qu'elle va jusqu'au bout de sa démarche. D'une violence rare, d'une maîtrise rare, à voir dans les meilleures conditions possibles pour apprécier la portée et la force de cette oeuvre unique, inégalable.
Beaucoup retiendront Mommy plus que Tom à la ferme. Un choix qui semble évident : l'un est une tempête de sensations facile d'accès, l'autre est un thriller froid dénué d'émotions aussi prétentieux qu'il divisera. Avec ses airs de petit Hitchcock, c'est un vent d'air frais dans la carrière de Xavier Dolan : plus mature, plus posé, plus subtil. Théâtral et paranoïaque, une oeuvre indéniablement sous-estimée qui est peut-être arrivée trop tôt dans la carrière de son cinéaste. Peut-être le redécouvrira t-on dans quelques années, quand le style Dolan habituel sera passé de mode.
Avec ses airs de Fargo norvégien, Refroidis fait clairement écho à l'univers coennien, dans ses personnages comme dans sa narration. La froideur des décors, mais aussi de cette histoire bien violente même si traitée avec un second degré plus qu'agréable, font de Refroidis un film à la noirceur assez impressionnante, accentuée par ce calme déstabilisant dans l'action. Jusque dans sa scène finale doucement décalée, Hans Petter Moland aura su faire de son film une tornade incessante et délirante de violence burlesque et de personnages plus idiots que leurs baskets. Réjouissant.
Fresque générationnel sur fond de French Touch, Eden a beaucoup fait parler de lui pour la présence des Daft Punk au rayon des personnages et pour sa bande-originale démente. Mais ce serait oublier la justesse de l'écriture de Hansen-Love, les personnages qu'on aime dès les premières secondes et la profonde mélancolie qui règne à chaque minute du long-métrage. Eden n'est pas un concert electro, mais cette nostalgie latente en fait un drame humain sur le temps qui passe, les rêves et les visages laissés derrière. Une réussite.
Andrzej Wajda est un papy du cinéma : il réalisait déjà des chefs d’œuvres dans les années 1950, c'est dire. De par son sujet, raconter la vie de Lech Walesa, L'Homme du peuple intriguait déjà énormément, alors voir un cinéaste aussi mythique s'y atteler ne pouvait qu'augmenter notre curiosité. Et si Wajda a beaucoup vieilli, l'authenticité de son oeuvre est toujours intacte : L'Homme du peuple est une réflexion très intelligente sur l'homme face au pouvoir, l'homme face à ses responsabilités, l'homme face à son propre destin. On ne sort jamais de la sphère privée de Walesa, on le suit au boulot, au syndicat, dans son appartement, et c'est là l'intelligence de Wajda : toucher à la figure historique par le prisme de l'humain, de ses failles, de ses faiblesses. Aussi classique soit-il, son nouveau film n'hésite jamais et s'accomplit jusqu'au bout.
Déjà avec Brendan et le secret de Kells, Tom Moore avait démontré son indéniable talent. Peut-être un peu moins réussi que ce dernier, Le Chant de la Mer n'en est pas moins une petite merveille de l'animation toute droit venue d'Irlande. La poésie des images, l'utilisation du passionnant folklore irlandais, l'écriture bouleversante des relations entre ses personnages : nul doute que l'on tient là l'un des films pour petits (et grands) les plus réussis de 2014. De la féerie en pellicule. Ou devrais-je dire de la magie en octets.
Au fin fond des côtes irlandaises se cache une épopée rude, chaotique. Calvary réfléchit sur son époque, sur sa religion, sur la société. Brutal, certes, mais perspicace, adroit et raffiné. La question du doute parcourt le nouveau film de McDonagh, sorte de drame biblique aussi immoral qu'il semble tout droit sorti de la plume d'un poète. Les personnages sont des quidams perdus dans cet immense paysage, dans cette histoire qui ne semble d'avoir comme règle que le hasard le plus commun, bien loin du dessein divin. Brendan Gleeson, impressionnant de sobriété, est un dieu vivant.
Le cinéaste belge Michael R. Roskam, après le raz-de-marée Bullhead, traverse l'Atlantique pour son premier film américain. Et accessoirement le dernier rôle du regretté James Gandolfini. Casting fantastique, en particulier Tom Hardy qui tient sans doute ici l'une de ses interprétations les plus subtiles et intelligentes, mais surtout une écriture très juste. Du film de mafieux à contre-emploi, bourré d'idées de narration, mais aussi de mise en scène - entre James Gray et Martin Scorsese. Sans être inoubliable, Quand vient la nuit se présente comme une très bonne surprise qui la mérite de prendre son genre dans le sens inverse. Malin.
Le Sel de la Terre, c'est une expérience. L'un des documentaires les plus marquants de l'année, à mi-chemin entre le grandiose d'un Ron Fricke et le biopic cinématographique. La lumière peint les images de Salgado, vertigineuses. Bien plus qu'un diaporama boursouflé, Wenders décrit un homme passionné. Un homme au milieu du gigantesque océan qu'est l'humanité. Un homme à la vie au-delà de nos horizons. Souvent moralisateur, le documentaire de Wenders reste un torrent d'émotions, un frisson face à l'infinie beauté des images se déroulant à l'écran. Passionnant et intelligent, immense et terrassant.
La BM du Seigneur avait été un succès surprise il y a quelques années, Jean-Charles Hue revient donc à nouveau au microcosme des gens du voyage dont il semble être le seul garant sur grand écran. Mange tes Morts est impressionnant de maîtrise, à la fois dépaysant dans son langage comme dans ses codes, sublimé par ses interprètes et sa forme électrisante. La puissance des paysages, des décors, aussi communs qu'il nous semble étrangers, donnent à la nouvelle de réalisation d'Hue une grandeur inattendue. Fantasque si ce n'est fantastique, même si on reprochera à l'ensemble de sonner parfois un peu trop creux.
Le cinéma chinois alternatif à la Jia Zhangke est à la mode en ce moment, entre le bulldozer A Touch of Sin, le dépressif Black Coal et ce Trap Street. Plus discret, plus doux, plus romantique, Trap Street n'en demeure pas moins une critique brillante du système chinois, et principalement de la paranoïa qui entoure l'observation constante de ses citoyens. Tendu, subtil, léger, lumineux et magnifiquement formé, le premier film de la productrice Vivian Qu est une grande réussite qu'il convient de déguster dans les conditions qu'il mérite. Amusant de se rendre compte que les meilleurs films socialement engagés du monde viennent aujourd'hui des régimes antidémocratiques. En ces temps de crise, voilà un bel hommage à la liberté artistique.
Difficile de dire ce qu'Aronofsky a voulu faire avec Noé. Si l'ensemble de sa filmographie donne lieu à de nombreux débats - on peut adorer l'un et détester le suivant - rares sont des œuvres ouvrant à des réactions aussi opposées que Noé. Plus pompeux que jamais, Aronofsky nous sort un véritable OFNI, entre heroic fantasy brutale, fresque biblique psychédélique et rouleau compresseur émotionnelle à la dimension digne d'un gros péplum. Affreusement imparfait, on ne peut renier l'ambition demeurée du cinéaste. Le voir en salles vous fera ressentir un torrent d'émotions contradictoires : vertige, haine, dégoût, adoration. Pas besoin d'être chrétien, pas besoin d'aimer Aronofsky, Noé est un film somme aussi unique qu'il apparaît bourré de stéréotypes casse-gueules.
David Michôd est un cinéaste de l'expectation, de l’observation. Il aime fondre ses personnages dans ses décors, les regarder objectivement sans jamais tenter de définir clairement leur plus profonde identité - cela donne des fantômes, vidés de leur vitalité et de leurs émotions. Dérangeant, imprévisible et surtout violemment sensitif, The Rover intrigue et choque, mais surtout interroge, sur notre première humanité. Il y a une richesse dans chaque plan, dans chaque scène : subtile, étouffée, un cri de douleur glaçant sous ce soleil de plomb. Et deux acteurs sous-estimés qui avancent dans ce désert de sang. Éprouvant, dans le bon sens du terme.
The Raid, premier du nom, avait été, il y a trois ans, une excellente surprise aussi inattendue qu'elle fut rapidement oubliée. Qu'est-ce que pouvait donc apporter cette suite montée de toutes pièces par la même équipe ? Le budget a été augmenté, les ambitions revues à la hausse, la violence décuplée. The Raid 2 est encore plus fou, plus dément et plus jouissif que son prédécesseur. Plus que de faire un actionner d'arts martiaux orgasmique, Gareth Evans propose une fresque mafieuse que n'aurait pas renié un Scorsese de la grande époque. Moins bien écrit que ce dernier, mais qu'importe : ces scènes d'action qui tiennent du divin, cette chorégraphie à couper le souffle, ces personnages dignes d'un vieux cartoon : tout y est. The Raid 2 c'est le plaisir primitif de l'année, la grosse claque bien virile qui vous envoie direct au tapis. En attendant le troisième.
Wes Anderson devient de plus en plus populaire de film en film. Si Moonrise Kingdom m'avait laissé sur ma faim, ce The Grand Budapest Hotel renoue avec les lettres de noblesses du cinéaste, tout en s'éloignant drastiquement de sa forme habituelle. Ralph Fiennes est incroyable, portant presque le film sur ses épaules, tandis qu'Anderson est plus inspiré que jamais, survolté, déjanté, sa folie créatrice s'épanouit ici autant qu'elle le peut. On vibre, on rit, et on est touché par cette douce mélancolie aussi bien dessinée que la superbe construction du cadre andersonien - tout est millimétré, tout est méticuleusement bâti pour que ce The Grand Budapest Hotel soit un délice de tous les instants. Ça ne vaut ni Fantastic Mr. Fox, ni Rushmore, ni La Vie Aquatique, mais ça n'en demeure pas moins excellemment grisant.
Démoli à sa sortie en salles, The Two Faces of January fait pourtant partie des meilleures surprises de l'année ciné, si l'on ose apprécier ces polars ensoleillés sentant la naphtaline. Casting magnifique (oui, vraiment), mise en scène rétro hypnotique, narration lente et contemplative. Ce thriller à l'ancienne que n'auraient pas renié Clouzot et Hitchcock a beau être difficilement accessible et potentiellement ennuyeux pour une partie du public, il suffit de se laisser emporter pour en apprécier le charme désuet, sa belle manière de distiller cette aura romantique à l'ancienne. Il faut être en forme pour le savourer, mais le résultat est bien là.
Dans ce film, Cotillard est une femme du commun, une ouvrière de la classe populaire - son interprétation est brillante, elle décroche ici le rôle de sa vie et vaut à elle toute seule qu'on s'attarde sur le film. Elle avance, souvent seule, dans sa quête inlassable, pleure souvent mais n'est jamais mièvre. C'est d'ailleurs l'une des autres grandes qualités du film : les Dardenne ont pour habitude de ne jamais s'éloigner de leur idée de départ. Pas d'intrigues secondaires, juste la trame principale, cette idée de scénario simple qui sert de point de départ et qui est utilisée à merveille tout le long, sans que des arcs narratifs secondaires viennent interférer son avancement. On ne s'égare pas, l'obsession du personnage de Cotillard finit par embarquer le spectateur - c'est beau, c'est fort, c'est souvent à pleurer. Les larmes ne sont jamais arrachées mais toujours amenées par le spectateur lui-même, l'émotion n'est pas forcée, elle est brute et forte. Portrait saillant des classes populaires, abordant, grâce à son sujet, de nombreux thèmes aux dimensions sociales, morales et psychologiques - Deux jours, une nuit est toujours d'une grande intelligence, parvenant à tenir sa promesse de livrer une conclusion, ni pessimiste ni optimiste, mais réaliste et réfléchie.
Quand on évoque les Studios Ghibli, on pense à Hayao Miyazaki, du fait de l'importance dans l'imaginaire collectif de ses films, mais aussi de sa relative activité. Pourtant ils sont trois derrière : le producteur Toshio Suzuki, ainsi que Isao Takahata. Auteur du mémorable Le Tombeau des Lucioles à la fin des années 80, il aura pourtant fallu attendre quinze ans pour voir son nouveau long-métrage. Le Conte de la Princesse Kaguya, un peu comme Miyazaki et son Le Vent se lève, ressemble à un chant du cygne. Les adieux au cinéma d'un autre génie, à jamais resté dans l'ombre de son collaborateur et ami. Il y a pourtant dans Kaguya une ingéniosité créatrice des séquences d'une beauté plastique jamais vue, et une pincée non négligeable de Mizoguchi dans l'architecture de son récit. Grandiose conte aussi intimiste qu'il est spectaculaire : un rêve, un brillant exercice accessoirement aidé d'une prodigieuse animation.
Sacré d'un Prix du Public au Festival d'Annecy, Le Garçon et le Monde nous arrive du Brésil : en pleine crise sociale entourant l'organisation de la Coupe du Monde - et dans une moindre mesure les Jeux Olympiques de 2016 - le film de Alê Abreu résonne comme un pamphlet humaniste à la force universelle. Dessin naïf mais magnifique, flot d'idées visuelles et créatives, c'est à la fois un merveilleux film pédagogique pour les plus jeunes et une splendeur d'intelligence et de poésie pour les plus âgés. Réunir avec autant de courage, autant de maestria, des publics largement opposés, c'est rare et surtout admirable.
Enemy est une œuvre que l’on pourrait déconstruire en trois films. Une première couche, très fine, celle d’un récit paranoïaque, oppressant et merveilleusement mis en scène, sorte de relecture contemporaine du concept de doppelgänger. Un deuxième niveau, souvent lourd, didactique, celui d’une métaphore casse-gueule sur la vie de couple et le refoulement castrateur des hommes mariés. Et enfin une troisième œuvre, presque fantôme, et paradoxalement similaire à la première, où le réalisateur semble regarder son public avec un rictus moqueur, l’air de dire : « La première fois, c’est une tragédie. La deuxième, c’est une farce. » Film sur la réplique, sur la répétition, sur le cycle infernal bipolaire de chaque événement, chaque personnage, chaque œuvre. Tout semble revenir deux fois, les plans, les répliques, les scènes. En apparence, Enemy se vend comme un décryptage pessimiste de l’appétit sexuel de l’homme, il est en réalité un exercice de style brillant sur notre acte de perception, conscient et inconscient. Ou comment ériger l’itération au rang d’Art.
Oui, Saint Laurent c'est ce qu'on fait de plus bobo, de plus cliché en terme de "cinéma d'auteur cannois à la française". Mais voilà, Bonello est un grand, et il le prouve encore ici. Détruisant complètement son maigre concurrent réalisé par Jalil Lespert, Bonello signe un tableau d'un symbolisme lourd mais fort. Mise en scène hypnotique, chaque image est un chef d'oeuvre de composition, de jeux de lumières, d'éclairage, de construction de l'espace. On pense évidemment à la scène de la boîte du nuit ou à l'excellente scène finale. Saint Laurent est, à l'image de l'homme dont il s'inspire, une oeuvre d'art aussi curieuse, traumatique et critiquable qu'elle est majestueuse. Diablement jubilatoire.
Au milieu d'une sélection cannoise pas vraiment grand public mais carrément réussie (sans doutes la plus intéressante depuis le cru exceptionnel qu'était 2011), Leviathan était sans doute la production la plus curieuse de cet étalage de talents. Zviaguintsev, déjà sacré d'un énorme succès critique pour le superbe Le Retour en 2003, revient à la réalisation avec un film fleuve engagé sur son propre pays - la Russie. C'est à la fois dans l'ère du temps, véritablement dépaysant, d'un classicisme assez assommant mais d'une maîtrise à couper le souffle. Couronné d'un simple Prix du meilleur scénario, on se demande comment le jury n'a pas pu se résoudre à lui donner au moins un Grand Prix, si ce n'est une Palme d'or qu'il n'aurait pas démérité. Sans doute étaient-ils trop occupés à sacrer le dernier pet de travers de Godard.
Le cinéma africain est un univers très particulier. Épuré, constitué de structures simples, socialement engagé. Timbuktu c'est tout ça, mais bien plus. Sissako atteint l'apogée de sa forme, ici d'une douce beauté, cette fable moderne est d'une écriture remarquable, d'une sobriété admirable. L'un des meilleurs films de Cannes 2014 est-il une révolution pour les films venu d'Afrique ? Pas sur, mais cette diatribe contre l’extrémisme religieux est d'une telle poésie qu'elle fera sans doute office de référence d'ici quelques années. La violence de son sujet s'allie à merveille avec l'objectivité de son réalisateur qui, plus que de simplement démontrer l'évidence, se confesse et témoigne des horreurs du monde, et de leurs paradoxes. Une grande réussite.
Nolan ne fait pas l'unanimité. Même au sein de ses fans. Même au sein de ses détracteurs. On peut avoir aimé Memento, détesté Le Prestige, adoré The Dark Knight et craché sur Inception, il suffira d'inverser les verbes et la définition correspondra à un autre spectateur. C'est pour cela que Interstellar, projet presque arlésien de Spielberg, faisait peur. Avec ses ambitions de 2001 du XXIème siècle, son casting badass et ses thématiques aussi casse-gueules qu'elles sont passionnantes, c'était tout ou rien. Et c'est bien cette impression que l'on retrouve dans ses critiques : il ne semble pas y avoir de juste milieu entre l'adoration et la détestation. Pourtant Interstellar se montre à la hauteur de ses objectifs : un peu didactique, mais si émotionnellement intense, si épique et si grandiose qu'il est difficile de faire la fine bouche devant un spectacle aussi riche et généreux. On adore ou on déteste, oui, mais il n'y a aucun mal à respecter les ambitions d'un long-métrage qui semble déjà avoir écrit sa page dans l'histoire du cinéma contemporain.
Peut-être que La Crème de la crème était trop ambitieux. Faut dire qu'au sein d'une industrie cinématographique nationale dont on critique chaque année le manque d'originalité et les comédies populaires aussi fades qu'elles font un nombre dévastateur d'entrées, voir un film si vivant, si follement original, une comédie qui ne se contente pas de rire de la société, mais de notre profonde nature, de l'élite qui en est son cœur même, du capitalisme et de l'économie, des fameuses lois du marché... et bien ça dérange, ça surprend, et ce n'est surement pas fait pour tout le monde. Chapiron touche au drame, à la satire, au teen movie, à la romance, The Social Network dopé à du Superbad avec une bonne dose de classe typiquement Chapiron. Très peu de cinéastes auront su aussi bien caresser la consistante moelle du paradigme actuel de la jeunesse. Brillant.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire