Difficile de décrire Interstellar. Tout et n’importe quoi a
été dit sur le dernier Christopher Nolan, et au final on ne sait pas vraiment
par où le prendre : ce qu’il est ? Ce qu’il n’est pas ? Ce qu’il
aurait pu être ? Ce qu’il a l’ambition d’être ? Peut-être alors dans
ses origines, puisque Interstellar
est à la base un projet presque légendaire de Spielberg – ou en tout cas pour
ceux qui s’intéressent aux différentes ambitions du cinéaste – qui, au fil des
années, des fausses rumeurs et des nouveaux plannings, était finalement devenu
une arlésienne. Que Nolan reprenne le film et le fasse réécrire par son frère
était en soit salutaire et inquiétant : la bonne nouvelle c’était qu’on
allait enfin voir de quoi il en retournait, la mauvaise c’était que Nolan n’est
Spielberg et Spielberg n’est pas Nolan, dans la catégorie des cinéastes
complètement incompatibles dans leurs styles, on fait difficilement plus
marqué. Mais cette anecdote nous renvoie quinze ans en arrière, quand Kubrick
demandait à Spielberg de réaliser A.I. –
qui fut, à sa manière, le mélange improbable des ambitions des deux cinéastes.
C’est à peu près la même chose qui se produit aujourd’hui avec Interstellar – imprégné de la patte du grand-père
de l’Entertainment hollywoodien moderne, le film ne ressemble à aucun autre de
Christopher Nolan. Il y a bien quelques tics de mise en scène, il y a bien Hans
Zimmer, et Michael Caine, mais une constatation prend forme assez rapidement :
non, Nolan n’a pas fait le film qu’on attendait de lui. Et c’est peu dire que
certains seront sans doute déstabilisés.
On ne compte plus les influences
réelles et présumées de Nolan, on pourrait même s’amuser à les lister, à les
décrire ou à les justifier, mais on en retiendra surtout les deux plus récurrentes :
Contact et 2001, l’odyssée de l’espace – n’en déplaise à certains. Contact pour la rencontre de la famille,
de la science et de l’inconnu, et 2001
pour cette folie métaphysique, cette ambition parfois au-delà de notre compréhension
et de notre perception. Les deux films ont beau être très différents, il est
difficile de ne pas faire le lien, encore plus quand Nolan s’amuse à faire
référence à Kubrick. Mais Interstellar
n’est pas prisonnier de ses modèles, encore moins de son sujet. Il y a
plusieurs films en un : un drame intime, un space opera, une dystopie, un
film d’aventure. C’est cette pluralité qui fait du dernier Nolan ce qu’il est :
indescriptible, inaccessible, parfois trop ambitieux et surement aussi prétentieux.
Paradoxalement, ce sont ces mêmes caractéristiques qui vont lui trouver autant
d’admirateurs que de détracteurs. Difficile de mettre d’accord tout le monde,
mais il apparait évident qu’ici, Nolan ne cherche pas le consensualisme.
Ce que Nolan parvient à faire
transparaître, c’est la temporalité de son film. Interstellar est un film hors du temps, condensé et étiré à la
fois, la chronologie est effacée au profit d’un rythme assez déstabilisant.
Combien de temps s’est-il passé ? Un peu comme les « rêves poupées russes » de Inception, Nolan ne nous donne pas de
réponses. Sauf qu’ici ce procédé trouve sa justification dans son scénario, et
l’effet n’en est que multiplié. Malgré sa durée dantesque – près de trois
heures – Interstellar n’ennuie pas.
Il intrigue, il prend des virages dangereux et s’aventure dans des thématiques
prévisibles mais admirablement bien traitées. Tant de bouleversements qu’il est
difficile de trouver le temps long – la mise en scène classe mais sobre de
Nolan, le superbe travail sur le son, les performances incroyables d’un casting, la meilleure bande-originale de Zimmer depuis au moins dix ans :
techniquement parlant il n’y a que peu de reproches possibles.
Il y a beaucoup de choses dans Interstellar : les trous noirs, les
trous de vers, la théorie du tout, l’hypothèse du zoo ou encore la relativité
générale. Beaucoup de suppositions aussi, de théories, de réponses
philosophiques à des mystères physiques bien connus. Mais Interstellar n’en demeure pas moins d’une cohérence remarquable :
en tant que processus de réflexion il n’échoue pas, ni même dans les réponses qu’il
propose à ses propres questions.
Que faut-il donc attendre d’Interstellar ? Surement pas ce qu’on
voudrait qu’il soit. Interstellar est
un grand film, pour qui veut bien l’accepter. Le film de Nolan a ses travers,
ses défauts, mais voir une telle ambition, une volonté si admirable de parler à
la fois de l’éternité et de l’éphémère, de l’espèce et de l’être, d’une galaxie
et d’un champs de maïs, d’un aventurier et d’un père, dans un film aussi dense
et pourtant d’un calme fascinant, cela mérite un minimum d’admiration. Il
divisera, Interstellar, et c’est à la
fois compréhensible et bénéfique. Nolan parle aux passionnés, il les invite à
une aventure. Et ceux qui voudront bien prendre sa main n’auront plus qu’à
rêver, trembler et s’émouvoir autant qu’ils en seront capables. C’est à ce moment-là
que l’expérience deviendra inoubliable.
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