RÉALISÉ PAR PAN NALIN
Tous les douze ans, le Kumbh Mela rassemble près de cent millions de
personnes sur les rives du Gange pour ce qui est sans doute le plus grand
pèlerinage du monde. C'est dans ce contexte aux proportions démesurables que le
cinéaste indien Pam Nalin décide de poser sa caméra. Auparavant reporter renommé pour les principaux réseaux de
télévisions européens (de la BBC à Canal Plus), il accède à la renommée en 2001
avec le film de fiction Samsara - rien à voir avec le chef d'œuvre de
Ron Fricke - et a depuis notamment réalisé La Vallée des fleurs,
co-production franco-germano-indienne, dont le seul intérêt restera de voir
l'inexpressivité de Mylène Jampanoï élevée au rang d'Art. Ce qui est
intéressant dans la carrière assez hétéroclite de Nalin, c'est qu'il a d'abord
fait ses armes à la télévision. Aussi étonnant que cela puisse paraître, c'est
loin d'être le cas de tous les documentaristes, et rares sont ceux qui voient
leur travail diffusé en salles en ayant débuté sur le petit écran. Plus que de
simplement déteindre sur son œuvre, le passé de Nalin la transcende
complètement - Kumbh Mela, sur les rives du fleuve sacré (Faith
Connections en VO) ressemble bel et bien à du journalisme d'investigation,
reprenant des codes inhérents au reportage, une approche très terre-à-terre de
son sujet, jamais tape à l'œil et n'usant à aucun moment de procédés de mise en
scène élaborés.
Pour Nalin, seul le fond compte, et ce parfois au détriment du
spectateur. Le metteur en scène semble tellement obsédé par son sujet que sa manière
de le transmettre, de le rendre abordable est très discutable – son admiration
sans failles pour les personnages qu'il suit au milieu de cette foule (de
l'orphelin plein d'ambitions à la famille à la recherche son enfant) vire trop
souvent au sentimentalisme : des portraits intéressants mais jamais frappants,
des hommes, des femmes et des enfants aux enjeux potentiellement fascinants
mais qui sonnent malheureusement comme des coquilles vides. Le film s'égare
entre ses différents points de vue, car là où les petits détails en apparence
futiles parviennent à trouver un certain intérêt de par leur traitement – cadre
à hauteur humaine –, leur multiplication les rend rapidement inexpressifs – en
s'attachant à tout dire du quotidien de ses personnages, Nalin oublie
l'essentiel : les replacer dans un ensemble. Le Kumbh Mela rassemble plusieurs
dizaines de millions de personnes alors que paradoxalement, les quelques cas
traités se situent entre le commun et l'exceptionnel, une position bâtarde qui
empêche toute réelle résonnance – on ne s'identifie jamais, on n’admire jamais.
On se contente de regarder l'équivalent soporifique d’un reportage d’une chaîne
découverte. Finalement, Nalin avait-il tant que ça à dire ? C’est un peu
la question qu’on se pose, car si l’idée de traiter l’un des plus grands
événements religieux de la planète comme un drame intimiste est intéressante,
le film ne va jamais au-delà sa morale hindouiste plutôt simplette. Pas que les
ambitions de Nalin soient mauvaises, tout ça aurait pu très bien marcher, mais
il ne semble pas à la hauteur.
Kumbh Mela pourrait donc être au documentaire ce que la
nature morte est à la peinture : on observe, on ne juge pas, et si on n’a
pas beaucoup de talent, on ennuie poliment l’observateur. Pourtant le résultat
final est bourré de qualités : on retiendra des scènes d’une
poésie balzacienne hypnotique et des citations marquantes à ressortir en début
de soirée (« L’homme a créé l’alcool, Dieu a
créé le cannabis – à qui fais-tu le plus confiance ? »), mais
l’objectivité presque forcée de l’ensemble rend le film de Nalin indigeste.
Il ne fait alors nul doute que le film touchera un
certain public – ceux à la recherche d’une beauté plastique à la Godfrey Reggio
ou d’un engagement social à la Depardon peuvent passer leur chemin. Kumbh Mela c’est la rencontre improbable
entre une approche philosophique proche de ce que peut faire Wang Bing et une
démarche visuelle et technique qui vous rappellera avec effarement un
quelconque numéro d’Envoyé Spécial.
Dans tous les cas on ne peut que se poser une question : pourquoi sortir
une telle production en salles ? En soit, le dernier volet de Pam Nalin
pourrait trouver sa place en prime-time sur Arte, mais l’absence totale
d’approche cinématographique remet presque en cause son statut même de
« documentaire ». C’est bien dommage car on est alors forcés de
placer Kumbh Mela dans la cour des
grands et de l’analyser en conséquence.
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