Il y a quelque chose de
complètement déchaîné dans "Whiplash", une énergie, une tension, une
folie, une dualité… Non, le film du jeune Damien Chazelle n’est pas un récit de
guerre ou un western, mais il y fait beaucoup penser. "Whiplash" suit
un jeune batteur, étudiant dans un conservatoire très renommé, qui rejoint un
groupe de jazz prestigieux dirigé de main de fer par un professeur aux méthodes
extrêmes. Présenté à Sundance puis à Cannes, il y a été acclamé et ovationné au
point de repartir avec les deux prix les plus prestigieux du festival américain :
le Grand Prix du Jury et le Prix du Public.
On a tendance à classer le film
dit musical comme un genre à part
entière – souvent à tort, et "Whiplash" est là pour le rappeler. Car
si la moitié du long-métrage est composée de séquences instrumentales, il ne s’agit
en aucun cas de choyer les oreilles du spectateur. Non, dans le film de
Chazelle, le chef d’orchestre est un dictateur, le musicos est un soldat, un
instrument est une arme, un morceau est une bataille, la renommée symbolise la
victoire. Tout va à toute vitesse, au rythme terrassant de la batterie :
les dialogues (géniaux, en passant), les scènes, l’installation d’une ambiance tétanisante.
On sent que tout peut arriver, on ne sait jamais où le film va s’arrêter tant
la gravité, la force de chaque scène qui semble vous broyer les tripes, paraissent
inexorables. La mise en scène de Chazelle est à ce titre brillante : le
montage dynamique qui semble suivre une partition, la mouvance d’une caméra qui
capte à merveille l’atmosphère unique des salles de répétition, mais surtout
une manière sans égal de filmer les instruments et leurs maîtres. C’est inventif
et étouffant, tout en restant clair et merveilleusement construit.
J.K. Simmons est quant à lui
absolument parfait. La comparaison avec R. Lee Ermey et son mythique rôle dans Full Metal Jacket n’a pas manqué, elle
est même plutôt pertinente, les deux personnages ayant des points communs et un
traitement scénaristique très similaires (surtout dans les dialogues). Il est
complètement possédé par son rôle, et son interprétation tire encore plus le film
vers le haut. Mais la révélation du film restera Miles Teller, qu’on voit assez
souvent depuis quelques années (Divergente,
The Spectacular Now ou encore Projet X) mais qui n’avait pas encore –
jusque-là – montré l’étendue de son talent. Imparable à chaque fois, rarement
on aura vu quelqu’un jouer d’un instrument avec autant d’ampleur sur grand
écran.
"Whiplash" c’est un
duel d’une heure quarante-cinq qu’on ne voit pas passer. Chazelle ne traîne
jamais, les idées fusent, l’étau se resserre et la scène finale est, à cet
égard, un moment de cinéma unique complètement fou, magistral, inoubliable, d’une
simplicité et pourtant d’une maestria qui n’inspire que le respect. Un point d’orgue
d’une œuvre admirable, un film comme on en voit pas deux – on voudrait presque
que ça dure deux heures de plus, mais "Whiplash" demeure parfait dans
son état actuel.
Que dire de plus ? Du grand
cinéma, l’un des meilleurs films de l’année, un frisson mémorable qu’on n’est
pas prêt d’oublier. Complètement singulier alors qu’il semblait évident, "Whiplash"
c’est "Fame" qui rencontre "Full Metal Jacket", c’est un "Il était une fois dans l’ouest" entre
un musicien et son chef d’orchestre, un western jazzy dopé au rythme du
batteur, une expérience de folie aux allures de classique-né, un vilain garçon
premier de la classe. Qu’on n’ose plus venir dire que le cinéma américain n’a
plus d’idées après ça.
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