O-BI, O-BA – LA FIN DE LA CIVILISATION (1985)
RÉALISÉ PAR PIOTR SZULKIN
AVEC JERZY STUHR, KRYSTYNA JANDA, KALINA JEDRUSIK
En 1985, la Pologne est encore un
régime communiste. Ça peut sembler une évidence pour certains, un détail
inutile pour d’autres, mais c’est un fait qu’il est très important (voir
indispensable) de connaître avant de se lancer dans O-bi, O-ba – la fin
de la civilisation. Réalisé par Piotr Szulkin, réalisateur prolifique
mais paradoxalement peu connu à l’étranger, il s’agit donc d’un film
d’anticipation, dans lequel les survivants d’une guerre nucléaire se sont
réfugiés dans un dôme, attendant la venue d’un vaisseau spatial appelé l’Arche
pour tous les sauver de cette misère quotidienne. On suit Soft, l’un des
dirigeants de la petite société qui s’est mise en place, alors que le fameux abri
commence à tomber en ruine.
Il y a beaucoup de similitudes entre O-bi, O-ba et Brazil.
Les deux films sont sortis la même année, utilisant tous deux la dystopie comme
un moyen de tourner en ridicule leurs propres environnements politiques,
teintés d’humour noir et surtout disposant d’un budget de petite taille (en tout
cas, ils le laissent penser). Les styles visuels de Szulkin et de Gilliam sont
même plutôt proches. Pourtant il existe une différence majeure : là où Brazil se lit comme une satire de la bureaucratie occidentale, O-bi, O-ba résonne comme une critique courageuse du monde communiste, et plus
particulièrement soviétique. Récit d’un système imaginé comme salvateur que le
temps a effrité, que la manipulation de ses dirigeants a complètement
lobotomisé – le film de Szulkin est parsemé de symboliques fortes, et même si celles-ci peuvent trouver plusieurs interprétations, son
engagement ne fait aucun doute.
Cependant on pourrait faire une autre lecture de O-bi,
O-ba. Si le contexte de sa sortie (influence croissante du mouvement de
Lech Walesa en Pologne) nous dirigerait davantage vers une analyse politique du
film, nombre d’éléments, comme le symbole de l’Arche, pourraient évoquer une
diatribe de la religion dogmatique.
Au-delà de sa consistance de fond, O-bi, O-ba présente une réussite de forme. Szulkin donne à son film une atmosphère assez
particulière, un travail énorme sur la lumière, sur les couleurs, sur les
contrastes entre objets. Tout n’est pas parfait et le budget microscopique se
fait souvent sentir, mais quelques plans vraiment géniaux et l’expérimentation
visuelle de chaque instant maintient et renouvelle le plaisir que l’on peut
prendre devant la réalisation de Szulkin.
Les limites artistiques de son statut de Série B sont
habillement contournées, malgré le manque de pécunes, Szulkin se montre
inventif et retourne la situation en sa faveur : les effets cheap, le
glauque des décors et l’unité de lieu construisent l’atmosphère du film. C’est
oppressant sans être insoutenable, le second degré en filigrane et les
personnages volontairement caricaturaux ajoutent une légèreté bienvenue.
O-bi, O-ba c’est beaucoup de choses à la fois.
Critique acerbe du communisme, récit d’anticipation pas totalement sérieux,
série B inventive, expérimentation visuelle accomplie mais surtout perle
injustement méconnue. A l’image de sa splendide affiche, le film de Szulkin est
un objet intriguant, loin d’être unique et encore moins ce qui se fait de mieux
dans le genre, mais un projet d’une rare ambition et d’un courage admirable
qu’il faut recontextualiser pour en apprécier l’ampleur.
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