C'est ce trajet mettant constamment la série sur la sellette qui l'a peut-être empêché de vraiment se développer au long terme. Car outre la relation (passionnante) évolutive entre Linden et Holder, les trois enquêtes traitées par la série n'ont que peu de liens entre elles. Ce n'est pas vraiment un défaut mais ça donne sans cesse l'impression que The Killing avance à tâtons, par peur constante de voir son sort sellé par ses producteurs. L'autre reproche souvent fait à l'égard de la série, c'est son statut de remake - autant qu'au cinéma qu'à la télévision, ceux-ci sont particulièrement critiqués car il s'agit la plupart du temps de transposition américaine d'un succès étranger (Forbrydelsen devient The Killing, Bron devient The Bridge, Broadchurch devient Gracepoint, Les Revenants devient The Returned, House of Cards reste House of Cards, Shameless reste Shameless) plus qu'une relecture d'une série plus ancienne (comme Battlestar Galactica). Ainsi le show a souvent souffert de la comparaison avec son aînée - pourtant toutes deux très différentes sur de nombreux points. Si les deux premières saison de The Killing équivalent à la première saison de Forbrydelsen, le développement des personnages et les différentes révélations se dévoilent rapidement radicalement différentes -- dès la saison 3 de la version US cependant, un virage complet est réalisé : les deux versions n'ont plus rien à voir, que ça soit narrativement (l'enquête est inédite) qu'au niveau des relations tissées entre les protagonistes.
C'est d'ailleurs à ce moment là que The Killing s'est complètement révélée : tout en conservant son atmosphère pluvieuse, ses teintes bleutées et sa noirceur constante, elle se donne un message fort et critique sur la peine de mort, les vestiges intérieurs du passé et la politique judiciaire américaine. La troisième saison se révèle ainsi la meilleure de la série - bouleversante, intelligente et d'une maîtrise rare. Son ton, sa force et sa manière de se détacher complètement du matériel original lui ont permis d'effacer les défauts des deux premiers actes (réussis mais incroyablement imparfaits en plus d'être parfois mal écrits et mal interprétés). La courte saison 4 fait donc office de saison à part entière, mais aussi d'épilogue - un statut bâtard qui empêche sans doute une implication totale du spectateur : dans le même esprit que la saison précédente, la puissance émotionnelle en moins, même si on retiendra un épisode final réussi.
The Killing (US) aura finalement su se développer son univers : atmosphère glauque et froide d'un Seattle sans cesse pluvieux, lorgnant même parfois vers le portrait urbain, écriture lente et nivelée à l'image de l'enquête qui se heurte sans cesse à de nouveaux problèmes, personnages désespérés en quête d'identité et de rédemption. Si on reprochera aux deux premières saisons d'accumuler quelques clichés (mais ça reste très léger), les deux suivantes évitent totalement ces pièges et sont parvenus à se dévoiler suffisamment marginales pour pouvoir se voir qualifier de l'un des meilleurs moments de télévision policière depuis la fin de The Wire - la comparaison peut paraître exagérée, mais on retrouve de nombreux points communs entre les deux shows : la saison 3 de The Killing et ses "jeunes de la rue sans avenir" fait directement penser à la saison 4 de The Wire - la critique sociale est la même. Les deux séries ont aussi tenté de dessiner le portrait d'une ville, allégorie à petite échelle d'un monde plus vaste, microcosme évoluant à l'image d'une société bien plus grande, des personnages qui résonnent presque comme des archétypes engagés antisystème : le politique parvenu, l'innocent condamné, le justicier muselé. Si cette manière de déconstruire le rêve américain est une facette en retrait au départ, elle devient un élément de premier plan par la suite : The Killing se pose des questions quant à l'habituelle résolution d'une enquête dans un cop show. Meurtre, enquête, suspects, coupable, procès, prison - c'est à travers cette méthode en apparence toute tracée que Veena Sud critique violemment l'illusion d'une justice : celle-ci n'existe pas. Elle ne répond qu'à des idéaux, qu'à une politique ou une simple idée humaine de ce qui est juste.
Les fins respectives de la saison 3 et de la saison 4 sont à cette image - faut-il alors s'en charger soi-même ? À quel prix ? Ou faut-il renoncer et prier pour une intervention divine ? The Killing n'y répond pas, préférant moraliser avec un point d'interrogation, et c'est peut-être pour le mieux. Car il n'y a pas vraiment de réponse.
On aurait bien sur aimé que The Killing ait plus de moyens mis à sa disposition pour parvenir à ses ambitions - l'assurance d'un renouvellement, par exemple, ou l'absence de contraintes d'audimat. Elle n'en aurait été que meilleure. Mais c'est bel et bien la tête haute et avec la chance d'avoir droit à une vraie fin que The Killing tire sa révérence - pas inoubliable, mais certainement l'un des meilleurs cop-shows actuel, la série de Veena Sud aura su faire taire ses détracteurs en se construisant sa propre mythologie. Des personnages fascinants, des acteurs excellents, une écriture en constante évolution et une mise en scène admirable. AMC peut aller se faire cuire un œuf.
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