Le cinéma taïwanais date du début du XXème siècle. D'abord fortement influencé par le cinéma japonais (puisqu'il en était une colonie), il devient un cinéma "de propagande" lorsque le Kuomintang arrive sur l'île en 1949, et se limitera à transmettre des "valeurs traditionnelles" jusqu'en 1982, la République de Chine ne permettant qu'à certains films préalablement approuvés de sortir en salles. En 1982, face à la concurrences des productions hongkongaises, le cinéma taïwanais cherche de nouveaux talents. Tentant d'abord de recopier la formule de ses voisins, des cinéastes comme Edward Yang ou Hou Hsiao-hsien vont finalement imposer un style ultra-réaliste au cinéma taïwanais, le posant comme une peinture de la vie sur l'île, tant dans ses environnements ruraux que urbains. En 1989, La Cité des douleurs de Hou Hsiao-hsien remporte le Lion d'Or à la Mostra de Venise, permettant à ces réalisateurs d'obtenir une renommée internationale. En 1990 arrive une seconde vague de réalisateurs taïwanais, dans un style différent de ses aînés, portée par Ang Lee, dont les énormes succès lui permettront de s'exporter aux Etats-Unis (Hulk, L'Odyssée de Pi, Brokeback Mountain et Hôtel Woodstock) mais aussi Tsai Ming-liang, dont le film Vive l'amour remportera lui aussi le Lion d'Or à Venis en 1994.
LE FILM
Edward Yang est l'un des cinéastes taïwanais les plus importants de sa génération, à la fois pour avoir porté presque tout seul le cinéma de son pays à une renommée internationale mais aussi pour l'influence qu'il a su avoir sur ses voisins chinois, notamment Jia Zangke. Dans A Brighter Summer Day, Edward Yang s'intéresse à l'histoire et la sociologie de son pays dans les années 1960. Fresque d'une jeunesse en quête d'identité, vivant sous la loi martiale et s'organisant en gangs, jeunesse perdue cherchant le sens de ce que leurs pères leur ont dicté. Oeuvre de près de 4h, film social sur font de romance et de peinture d'une époque, considéré à sa sortie comme un véritable chef d'oeuvre mais tombé dans un oubli quasi-total du fait de sa distribution chaotique en Occident (tout ce qu'on a du film est une VHS sous-titrée en mandarin et en anglais).
A Brighter Summer Day, pardonné l'expression, mais c'est un morceau de cinéma qu'il faut s'enfiler. Quatre heures dans une qualité médiocre sous-titré dans une langue qui n'est même pas la mienne... mieux vaut ne pas être fatigué, mieux vaut ne pas avoir peur de l'oeuvre de Yang. Pourtant le film est passionnant, interprété par une pléiade d'acteurs amateurs fascinants de réalisme, une mise en scène sobre mais aux couleurs, à la construction des plans absolument magistrale. On ne s'ennuie pas - même si j'avoue avoir fait une pause au milieu du film. L'ambiance et la reconstitution donnent une véritable claque, on se croirait dans les rues de Taipei au début des années 60. Et, passé la première heure, on a enfin conscience être devant un chef d'oeuvre. Un chef d'oeuvre qui prend son temps, au-delà de la définition basique du cinéma, qui se rapprocherait plus d'une grande peinture d'une époque et d'une jeunesse souffrante, jusqu'au final portant au tout une note terriblement noire mais magnifique et marquante.
A Brighter Summer Day est à la fois la représentation parfaite du cinéma taïwanais et de la situation de Taïwan. Les acteurs sont géniaux, Edward Yang tient sa caméra et filme le quotidien comme peu de ses confrères. Rythmé sur du Elvis (le titre est d'ailleurs extrait d'une chanson du King), aux couleurs chantantes d'un été mélancolique mais sombre.
Même si ces quatre heures ne sont pas sans passages plus lents, on reste admiratif devant la maîtrise visuelle, narrative et artistique du film d'Edward Yang, qui reste, au travers de sa courte mais impressionnante, un cinéaste qui aura su marquer son cinéma et son époque. A Brighter Summer Day est une oeuvre fascinante et parlante, portrait d'un pays dont l'histoire mouvementé n'est que trop peu connue.
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